L'envol des tourterelles
extraordinaire et leur parlant rapidement de l’arrivée soudaine de Casimir.
– Le matin du jour de l’An?
– Oui. En tout cas, nous ne pourrons pas l’oublier. Attendez de le voir. C’est toute une pièce d’homme. Un vrai malabar.
En un jour, il fut clair que Jerzy embaucherait Casimir. Jerzy et Anna lui offrirent gîte et nourriture jusqu’à ce que commencent les travaux de la ferme. Casimir les impressionna par la frugalité de ses exigences, refusant de prendre une partie du salon, préférant dormir dans la cave à peine chauffée, sur une couche de fortune posée à même la terre battue. Il prit même le vieux seau pour ses besoins afin de ne pas monter à l’étage. Il n’accepta d’être leur pensionnaire qu’à la condition de signer une reconnaissance de dette devant être déduite de ses gages.
– Si un Polonais ne peut aider son frère, c’est qu’il n’est pas un bon Polonais et encore moins un bon catholique.
Jerzy se demanda si quelqu’un lui avait parlé de Jan, mais Casimir semblait ignorer l’existence même de sa famille. Jerzy ne cessait donc de remercier le ciel de lui avoir envoyé plus qu’un frère.
L’hiver commença à montrer des signes de faiblesse. Février avait presque aspiré toute l’eau de la fonte précoce et mars était arrivé en triomphateur. Malgré sa taille imposante, Casimir, lorsque toute la famille était présente, se faisait discret. Dès que les enfants avaient franchi le seuil de la porte, Jerzy passait de nombreuses heures avec lui à parler de la Pologne et à discuter de son dernier achat, le dernier lopin de terre de M. Carrière.
– Vous avez maintenant la plus belle ferme maraîchère depuis Winnipeg jusqu’à la frontière américaine.
– C’est ce que je veux. Vous ai-je dit, Casimir, qu’en Pologne j’ai passé tous mes étés à Wezerow sur une fermette?
En deux mois, Anna avait presque retrouvé son Jerzy, qui prenait un plaisir fou à se mesurer à Casimir, non pas tant par la force physique que par l’acuité de ses visions politiques sur la Pologne et la vivacité de ses souvenirs de guerre. Casimir lui vouait une admiration sans bornes depuis qu’il avait appris que Jerzy avait fait partie des troupes ayant servi sous le commandement du général Anders et qu’il avait escaladé le mont Cassin.
– Je savais que les Polonais étaient là, mais vous êtes le premier que je rencontre. Toute la Pologne est tellement fière de vous. Si vous étiez en Pologne, je suis certain que vous seriez un héros.
– Vous pensez? Même avec le gouvernement communiste?
– Mais la Pologne, ce n’est pas le gouvernement! La Pologne, c’est la population. La Pologne, c’est nous, les Polonais éparpillés dans le monde. La Pologne, c’est une âme, pas des frontières!
Les discussions étaient interminables et Anna souhaitait parfois le printemps, qui ferait retourner les hommes aux champs. Mais elle concéda, un soir de tendresse, alors que Jerzy lui avait mis les doigts dans la bouche pour lui agacer la canine, qu’elle avait appris plus sur la Pologne depuis l’arrivée de Casimir que pendant toute sa vie.
– Mais chaque fois que je lui demande d’où il vient, il ne me répond pas.
– Ah bon? Il vient de Koszyce. Il ne doit pas vouloir en discuter, parce que, si j’ai bien compris, il a tout perdu : parents, femme, enfants.
qu’il vit, même après tant d’années. Heureusement que moi, j’ai pris le train à Halifax...
Le ciel du 3 mars se couvrit de nuages si bas, si lourds, que Casimir blagua au déjeuner en disant que si le plafond baissait encore le moindrement, il aurait la tête dans les nuages. Stanislas sourit à cela, se demandant s’il verrait un jour la mauvaise humeur de leur employé, car Casimir éclatait à propos de tout et de rien, faisant résonner son puissant rire de père Noël. Dans l’après-midi, le vent se leva soudain avec une violence insoupçonnée, faisant voler la neige comme une nuée d’oies blanches affolées par un coup de feu. L’école fut fermée après la récréation, et Stanislas et Sophie, qui durent pousser trois véhicules coincés dans la neige, étaient convaincus qu’elle ne rouvrirait pas le lendemain. Ils rentrèrent péniblement, se soutenant l’un l’autre, se débattant contre les rafales de vent qui menaçaient de faire disparaître leur village. Le vent se glissait en hurlant entre les arbres et, malgré le jour encore jeune, le soleil était
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