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L'envol des tourterelles

Titel: L'envol des tourterelles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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de surcroît, pouvait être pris au sérieux.
    Ils traversèrent la rue et Michelle s’avança d’un pas assuré vers une personne qui, apparemment, représentait le propriétaire. Jan pensa que Michelle était extraordinaire. Elle gérait toutes leurs propriétés, s’occupant de l’entretien, de la collecte des loyers et du confort des locataires, qui, bien servis et heureux, ne déménageaient jamais. Elle lui avait avoué vouloir être à ses côtés pour les magasins. D’abord réfractaire, il avait consenti. Elle pouvait s’occuper des édifices et lui se chargerait de l’inventaire, du choix des produits, de la sélection et de la formation du personnel, de même que du contrôle de la qualité du service et de l’application de ses directives. Depuis quatre ans, il rencontrait ses gérants deux fois par année, et ensemble ils décidaient de leur stratégie pour résister à l’assaut des grands, toujours les mêmes : les
Steinberg, A&P
,
Dominion
et les autres. Jan était buté quant à la stratégie globale : une petite épicerie du coin, assez grande pour offrir un bon éventail de produits, assez petite pour que les clients appellent le boucher et le gérant par leur nom et que ceux-ci les reconnaissent et sachentleurs préférences. Il ne voulait pas cesser d’effectuer la livraison, mais ils devaient en reparler à leur prochaine rencontre, les gérants doutant de la rentabilité de ce service.
    – Monsieur Aucoin, je présume.
    Jan, perdu dans ses pensées, fut étonné de se retrouver sur le trottoir de la rue de la Commune et, sans même y réfléchir, tendit la main vers l’homme qui lui faisait face. La neige floconnait légèrement et ce dernier avait des cristaux plein son col de fourrure, mais Jan remarqua qu’ils se confondaient avec des pellicules.
    – Je suis enchanté de vous rencontrer, monsieur...?
    – Maître Levy, attaché à la maison Cohen et Cohen.
    – Je ne savais pas que cet entrepôt appartenait à des Cohen.
    Michelle regarda Jan d’un regard un peu affolé. Les seules fois de leur vie qu’ils avaient parlé des juifs, c’est lorsque Jan lui avait raconté le ghetto de Cracovie. Il avait aussi fait allusion aux juifs recrutés pour travailler pour les Allemands. Mais il avait davantage insisté sur la méfiance qui existait entre les Polonais catholiques et eux. Elle s’en était offusquée, mais il l’avait rassurée en lui disant que son père l’avait sévèrement puni le jour où, pour jouer au juif, il avait épinglé sur sa poitrine une étoile de papier jaune.
    «Mais pourquoi avais-tu fait une chose aussi horrible?
    – Parce que j’étais jeune et que je ne les aimais pas.
    – Tu ne les aimais pas?
    – Non, je ne les aimais pas. Personne ne les aimait, parce qu’ils pouvaient nous faire tuer.
    – Voyons, Jan. Ce sont eux qui se faisaient tuer. Pas vous.
    – Nous aussi, Michelle. Des centaines de milliers de Polonais, aussi innocents que mon père l’était quand il a été emmené, se sont fait tuer dans les camps. C’est peut-être même à cause d’eux que mon père est mort, parce que, si mon souvenir est bon, un de ses étudiants du réseau clandestin était juif.
    – Parfois, il me semble...»
    Elle n’avait plus voulu discuter. Il lui manquait un morceau du casse-tête et elle ne pouvait comprendre des propos aussi peu charitables. Et voilà qu’elle percevait dans la voix de son mari quelque chose qui ressemblait à du mépris. Elle s’affola d’avoir eu cette pensée et la corrigea tout de suite, remplaçant le mépris par la méfiance. Son mari semblait tout à coup méfiant de faire affaire avec des juifs.
    – Je vous montre les locaux.
    Elle répondit, avec un enthousiasme forcé, qu’elle avait très envie de tout revoir, et ils le suivirent à l’intérieur, Nicolas traînant derrière. Le bureau qui serait celui de Jan avait dû voir passer des gens très importants, si elle se fiait aux boiseries de chêne verni et aux odeurs de cigare qui semblaient imprégner les meubles et les moquettes. Les autres pièces étaient plus modestes, mais fonctionnelles. Ils passèrent finalement à l’arrière, dans l’entrepôt proprement dit, et Jan fut immédiatement conquis par l’inventaire, la fraîcheur des fruits et des légumes, l’espace qu’il y avait pour circuler entre les étagères métalliques, la hauteur des plafonds, et les chambres froides. Mais ce fut Nicolas qui les fit sursauter en poussant un cri de plaisir

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