L'envol des tourterelles
qu’elle était optimiste, que rien ne pourrait museler le son que Florence parvenait à faire sortir d’un violon.
– Tu lui prêtes toujours le violon de ta mère?
– Je le lui prête jusqu’à ce qu’elle ait les moyens d’en acheter un aussi bon.
Elle sentit que Denis aurait voulu lui proposer de le faire, mais il s’était tu. Depuis qu’il lui avait offert la Volkswagen, elle avait tout refusé, gênée par cet aspect de leur relation. Elle n’aurait jamais les moyens de lui rendre tout ce qu’il lui donnait et elle détestait le sentiment parfois sournois de n’être que sa maîtresse alors qu’elle aurait crié son amour à tue-tête et se serait fait amputer ses mains de musicienne pour être la mère de ses enfants.
Ils marchèrent lentement, le silence de la montagne n’étant troublé que par le bruissement de la brise dans les arbres et le cri des oiselles qui apportaient la becquée à leur nichée. Denis regarda l’heure et grimaça.
– Que penserais-tu de moi si je mentais?
Élisabeth aurait voulu répondre qu’elle ne se posait jamais la question depuis qu’elle le connaissait, leur relation ayant toujours eu le mensonge pour toile de fond.
– Un gros ou un petit mensonge?
– Est-ce un gros ou un petit mensonge si je téléphone à la clinique pour dire que j’ai un malaise et que je ne pourrai retourner au travail cet après-midi?
– Tu peux en aviser tes patients?
– Il y en a peut-être deux qu’on ne pourrait rejoindre.
Élisabeth n’eut pas besoin de le regarder pour savoir qu’il mourait d’envie lui aussi de se retrouver à la maison, seul avec elle.
– Je pense que tu pourrais demander de reporter les rendez-vous mais recevoir les patients déjà arrivés, ce qui me laisserait le temps de nous fricoter quelque chose.
Denis la fixa de ce regard généreux qu’il avait toujours lorsqu’il voulait lui donner la lune, mais elle crut voir un nuage en pâlir le halo. Elle frissonna et voulut lui demander d’annuler le mensonge, mais il l’embrassa avec tellement de gourmandise qu’elle en fut incapable.
Ils se retrouvèrent chez elle et Denis, dès qu’il lui encadra le visage de ses mains, effaça en une seconde cet air catastrophé qu’il affichait. Il avait encore vu un patient dont l’état de santé le tracassait, devinait-elle. Elle le connaissait depuis près de quinze ans et jamais il n’avait réussi à s’immuniser contre l’impuissance de la médecine. Ces pensées fugaces l’effleurèrent sans l’égratigner et elle se sentit faiblir de nouveau, ne sachant si elle avait rêvé ou non la larme qu’elle lui avait vu dans 1’œil.
Ils venaient à peine de se laisser tomber sur le lit lorsque Florence frappa à la porte et entra sans y avoir été invitée, appelant Élisabeth d’une voix si gémissante qu’ils bondirent tous les deux, alertés par ce qui semblait être un cri d’alarme. Ils l’entendirent marcherdans l’appartement, allant du couloir au salon, du salon à la cuisine, pour finalement se planter devant la porte de la chambre.
– Es-tu malade, Élisabeth? Bon Dieu! j’espère que non! Élisabeth, réponds-moi!
Élisabeth chuchota à l’oreille de Denis qu’elle n’aurait jamais pu supporter d’avoir des enfants qui se seraient cru tout permis, surtout de bondir sur le lit de leurs parents. Son jeune frère Adam avait toujours pris les siens pour un terrain de jeu.
– Heureusement que Florence n’a plus six ans!
Elle enfila son peignoir et entrouvrit la porte. Florence trépignait d’impatience et fut décontenancée de voir qu’elle n’était pas habillée. Du coup, elle eut la certitude qu’Élisabeth était indisposée.
– Es-tu malade?
– Non, mais je sens que si tu restes ici plus de cinq minutes, je risque de m’évanouir.
Florence baissa le ton et, désignant la chambre d’un coup de menton, demanda sans émettre un son si Denis était là. Élisabeth fit un oui agacé et lui demanda la raison de sa visite impromptue. Florence l’attira par le bras jusqu’au salon et prit cet air taquin qui avait toujours fait craquer Élisabeth.
– Un, je l’ai rencontré et il m’a serré la main. «Je vous reconnais, vous, qu’il a dit. La petite violoniste de l’inauguration de la Place-des-Arts.» J’ai répondu par un oui tellement insignifiant qu’il a certainement pensé que j’étais une parfaite imbécile. Je n’en dors plus depuis deux jours. Il est tellement beau, tellement
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