L'envol des tourterelles
flattant doucement le pied de la stèle, envoûtée elle-même par les mots de sa mère.
– Tu peux la prendre comme muse.
Florence lui passa un bras autour du cou, laissa tomber sa tête sur son épaule et lui chuchota qu’elles pouvaient partir.
Élisabeth était assise au parterre avec ses élèves, dont plusieurs avaient réussi à épargner suffisamment pour se procurer un billet. Si Florence leur avait expliqué comment elle avait l’intention de se préparer, alliant technique et interprétation, Élisabeth les avait longuement instruits en leur disant souhaiter qu’ils puissent reconnaître les grandes écoles de musique et leurs techniques, percevoir les différences d’interprétation que l’on pouvait donner à une même pièce, analyser le contact entre le violoniste et son instrument, etfinalement rechercher les âmes et s’identifier à celles qui les émouvaient le plus.
La salle n’avait cessé de grouiller de gens fébriles qui, un programme froissé et annoté à la main, semblaient préparés à la grande aventure. Ses élèves avaient mis la jupe ou le blazer et la cravate sauf un qui avait choisi le col roulé et un veston au col Mao à la manière des Beatles. La salle était comble et Élisabeth s’émerveillait de voir à quel point la musique n’avait ni âge ni langue. Elle avait déjà été présentée à des amateurs de plusieurs pays qui s’étaient déplacés pour les finales, la plupart connaissant un candidat. Elle avait fait la rencontre de Français venus encourager M me Courtois et M. Kantorow, de gens de la République fédérale d’Allemagne venus applaudir Ulf Hoelscher, de quelques rares représentants de l’Union soviétique, au visage fermé et aux habits mal coupés, tendus comme si l’avenir de leur pays dépendait des performances de MM. Korsakov, Lancman et Nodel; de plusieurs Japonais au nom impossible à retenir, et de nombreux Américains qui n’avaient plus qu’un seul candidat en finale après avoir vu huit des leurs éliminés dès la première épreuve. Il y avait bien eu un peu de grogne, mais les dix membres du jury, originaires de huit pays différents, n’avaient rencontré aucune contestation. Dans le hall, quelques minutes avant le premier concert, elle avait croisé Sidney Harth, le juré américain, qui se dirigeait vers sa place et lui avait gentiment demandé de tenir compagnie à un collègue et compatriote.
–
A friend
, Nathaniel Warszawski,
from Boston. Il
vient d’arriver aujourd’hui et il ne connaît personne.
Élisabeth avait voulu refuser mais n’avait pu quand elle avait entendu la musicalité de son nom polonais. Il lui avait baisé la main et elle était restée plantée devant lui, un sourire Rose Kennedy lui encadrant les dents.
– Vous êtes de Varsovie?
– Mon nom ne peut rien cacher. Et vous?
– De Cracovie.
Ils n’avaient eu que le temps d’apprendre qu’elle était professeur de violon – elle avait parlé rapidement des Archets de Montréal et de Florence qui était finaliste – et qu’il était chef d’orchestre invité et professeur au Conservatoire de musique de Boston.
– En orchestration.
Il avait continué en lui donnant d’autres précisions, mais elle avait aperçu Denis qui, à une quinzaine de mètres derrière M. Warszawski, lui faisait des sourires d’admiration pour son élégance et un tendre clin d’œil de complicité amoureuse. Warszawski avait remarqué qu’elle ne l’écoutait plus, s’était tu sans qu’elle s’en rendît compte, et avait tourné discrètement la tête pour remarquer un bel homme au regard transpirant de désir. Il avait souri discrètement et s’était éloigné sans qu’Élisabeth le voie.
Le rideau s’ouvrit donc sur le premier concurrent, qui réussit à émouvoir la salle avec son
Concerto en ré majeur
de Brahms. Élisabeth ne savait si c’était à cause de son humeur ou du talent du concurrent, mais jamais elle n’avait entendu ce concerto joué de façon aussi magistrale. À l’entracte, elle cherchait Denis des yeux quand Nathaniel Warszawski s’approcha d’elle.
– S’ils jouent tous comme lui, je plains les membres du jury.
– Mais il ne joue pas!
Warszawski parut étonné de sa réponse, mais continua la conversation comme si elle avait dit une grande vérité musicale, lui faisant cependant remarquer qu’elle mettait la barre bien haute. Élisabeth, qui avait cru qu’il lui parlait de Denis, prit conscience de sa
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