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L'envol des tourterelles

Titel: L'envol des tourterelles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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Florence lui cherchait noise depuis des mois et elle avait peur d’avoir surestimé la résistance nerveuse de son élève. Elle craignait que Florence ne soit une romantique qui ne saurait contrôler son archet dès qu’un tremblement de joie, de colère ou de chagrin lui secouerait le cœur. Elle avait insisté pour qu’elle s’inscrive à ce concours, espérant évidemment qu’elle serait parmi les trois premiers lauréats, mais sachant qu’elle ne ferait probablement pas la finale. Le talent de Florence était si époustouflant qu’Élisabeth estimait que les membres du jury ne la récompenseraient pas tout de suite, préférant, selon la norme, souligner l’apport incontestable de certains participants plus âgés. Reconnaître le travail d’un quart de siècle chez ces talents qui touchaient déjà le violon avant d’avoir six ans était préférable à l’adulation d’une nouvelle virtuose qui ne ferait que s’améliorer avec les années et qui aurait suffisamment le temps de remonter sur le tremplin pour plonger vers la renommée.
    – Mais où est ton violon, Florence?
    – Il n’a pas voulu venir parce qu’il est de mauvaise humeur. Je pense que c’est parce que ses règles approchent.
    – Ah bon!
    Élisabeth ne s’habituait toujours pas à cette manie de Florence, mais elle avait depuis longtemps cessé de lui en parler. Le violon était son seul ami d’enfance et elle lui était fidèle.
    – Il m’a dit de te dire qu’il avait bien vu la liste des concurrents et qu’il se sentait ridicule. Il m’a dit de te dire qu’il n’y avait que trois autres violons canadiens et qu’il ne comprenait ni le russe, ni le bulgare, ni le yiddish…
    – Tais-toi, Florence. Tu dis des bêtises. C’est extraordinaire que tu puisses rencontrer d’excellents violonistes venus de partout dans le monde.
    – Je ne pense pas. J’aurais vingt-cinq ans et un coup d’archet génial que…
    – Désolée, Florence, mais tu as vingt ans et un coup d’archet génial. C’est encore mieux.
    – Non, Élisabeth. Pas question. Mon violon ne veut pas participer à ce concours. Je ne veux pas participer à ce concours. Je ne veux pas. Je ne veux même plus en entendre parler.
    Élisabeth s’assit devant elle, blanche de colère, sans voix. Florence pouvait lui rendre la vie insupportable. Une vraie diva avec ses crises, mortelles pour son entourage. Elle tenta de se calmer, mais, n’y parvenant pas, elle se tut, espérant que Florence ne verrait pas que sa patience avait atteint ses limites. Florence se leva et mit son béret, prête à partir.
    – Ton violon ne veut pas jouer?
    – Non. Il ne veut pas.
    – Bon!
    Devant une Florence éberluée, Élisabeth se leva si brusquement qu’elle mit le talon dans l’ourlet de sa jupe et le décousut. Elle partit vers sa chambre etFlorence l’entendit claquer les portes avant de la voir revenir, un étui à la main.
    – Ce violon-ci veut jouer, Florence.
    Élisabeth ouvrit l’étui en pleurant, de chagrin, certes, mais surtout de colère.
    – Ce violon-ci est capable d’entendre parler anglais, français, bulgare, yiddish, même allemand ou russe, Florence. Ce violon-ci s’est tu depuis vingt ans et il a tellement souffert qu’il est prêt à pardonner, parce que c’est le violon de ma mère! Alors, Florence, enlève ton maudit béret qui te donne un faux air de Saint-Germain-des-Prés et essaie de voir si tu peux le consoler et le combler.
    Florence la regardait, tremblante. Élisabeth avait une confiance si terrifiante en elle qu’elle en était torturée. Élisabeth pouvait-elle l’aimer autant qu’elle l’aimait? Elle la regarda essuyer la larme qui venait de tomber sur la tête de l’archet. Élisabeth sortit le violon avec autant de précaution que si c’eût été un poupon dans un moïse, l’embrassa en reniflant et lui raconta plein de choses en polonais. Elle se tourna enfin vers Florence et lui tendit l’instrument.
    – Il faudra aller chez le luthier, mais je pense qu’il est en parfait état. J’ai dit à ma mère qu’elle ne devait pas avoir le trac. Qu’elle avait travaillé toute sa vie pour jouer à l’extérieur de la Pologne et que tu le ferais pour elle. Si tu me répètes une fois, une seule fois, que tu ne veux pas participer au concours, même si tu me le dis en chuchotant ou que tu me racontes que c’est ton violon qui a rêvé que tu ne jouais pas, je ne te reverrai plus, Florence. Ma mère a consacré sa vie à la

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