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L'envol des tourterelles

Titel: L'envol des tourterelles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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allumée dans l’obscurité. Elle fila dans les coulisses, cherchant son étui pour y coucher l’instrument après l’avoir essuyé, étonnée de voir qu’il était mouillé. Elle resta prostrée dans un coin, craignant tout à coup d’avoir blessé les spectateurs, ignorants du chagrin d’amour d’Élisabeth. Elle entendit un discours qui lui semblait venir d’un autre monde, fut happée par quelqu’un qui l’attira sur scène, se retrouva aux côtés de Vladimir Lancman, le violoniste russe dont Élisabeth avait dit avoir aimé l’âme, et tous deux reçurent une gerbe de fleurs. Ce n’est que lorsque Michelle vint la retrouver qu’elle sut qu’ils venaient de remporter le grand prix, ex æquo. Elle le trouva aussi amer que la bouche de Denis qui tenta de s’approcher d’elle mais rebroussa chemin quand il comprit qu’il n’aurait pas de mots pour expliquer qu’il était ravagé par le chagrin.

Troisième temps

1967-1968

23
    Le soleil était au rendez-vous et les Manitobains avaient flâné après la messe de Pâques, préférant en regarder l’éclat sur le bout de leurs chaussures de cuir verni neuves. Jerzy, Stanislas et Casimir s’étaient engouffrés dans la cabine de leur camion et avaient quitté Saint-Boniface, où ils avaient exceptionnellement assisté à la messe à la cathédrale, pour filer directement à Winnipeg. Jerzy avait insisté pour que Casimir les accompagnât, voulant lui montrer la statue du
Golden Boy
. Stanislas ne savait s’il était plus déçu que furieux ou l’inverse, mais la présence de Casimir l’irritait. D’aussi loin qu’il se rappelât, Pâques était le jour où son père et lui partaient seuls pour se recueillir devant le
Golden Boy
, qu’ils avaient décrété être le monument de son oncle Adam, que ni lui ni son père n’avaient connu.
    Le jour de Pâques, son père était toujours de belle humeur et lui racontait ses aventures de guerre ou de jeunesse, les assaisonnant d’année en année. Stanislas avait donc attendu longtemps ce dimanche, désireux d’interroger son père sur cette Anglaise aux cheveux aussi roux que ceux de Florence, mais la présence de Casimir l’en empêcherait. Il avait aussi espéré pouvoir parler d’Élisabeth, qui, selon les lettres de Michelle, n’avait repris ses activités avec les Archets de Montréalque depuis Noël. Stanislas faisait la moue et il n’avait pas besoin de regarder son père pour savoir que celui-ci lançait des regards entendus à Casimir, se moquant de sa maussaderie.
    Stanislas avait aussi voulu profiter de ce jour pour annoncer son projet de poursuivre ses études à Montréal. Cette discussion le terrorisait, mais il savait le jour de Pâques – jour des promesses et des regrets, des accolades et des tapes dans le dos – tout choisi pour la tenir. Jusqu’à cette année, Pâques avait été jour de trêve où il se permettait d’aimer son père, oubliant toutes les saloperies que celui-ci faisait à Sophie depuis qu’elle lui tenait tête et que sa carrière s’annonçait bien malgré son jeune âge.
    Ils marchèrent en direction de la statue et Casimir portait difficilement les kilos supplémentaires pris depuis son arrivée à Saint-Norbert. Heureusement pour tous, il était toujours un travailleur acharné et la ferme s’en trouvait améliorée, faisant disparaître le remords de Stanislas chaque fois qu’il pensait à ses étés à Montréal et à ses projets. Le plus souffrant était l’entêtement de Sophie, qui ne voulait toujours pas l’accompagner et cherchait encore noise pour s’assurer que son père l’empêcherait de partir. Stanislas avait beau lui expliquer la «famille de l’Est», elle en avait une crainte inexplicable frôlant parfois le mépris.
    «Je ne sais pas si j’aimerais un oncle qui travaille dans une épicerie.
    – C’est le contraire: ce sont les épiciers qui travaillent pour lui. Il est très prospère, notre oncle épicier.
    – Si tu le dis. Mais une tante qui s’occupe de collecter des loyers, d’expulser des pauvres gens et de faire repeindre des maisons, c’est contre mes principes.
    – Quels principes?
    –
Mes
principes.
    – Et Nicolas? Tu n’as pas envie de le revoir?
    – Pas vraiment, non. D’après ce que tu me dis, il me donne l’impression d’être un parasite.
    – Je n’ai jamais dit une chose pareille! J’ai simplement dit qu’il préférait les colonies de vacances aux épiceries.
    – C’est ce que je dis.

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