L'envol des tourterelles
années plus tôt pour partir à la conquête de sa mère.
Sophie le vit arriver et alla à sa rencontre. En l’apercevant, il comprit que son escapade n’avait guère été appréciée et il lui sourit pour la rassurer. Le conflit qui opposait sa sœur et leur père les avait rapprochés et il ne voyait que très peu de différence entre ses dix-sept ans et les quinze ans qu’elle portait comme s’ils lui donnaient sa majorité. Ils marchèrent lentement, sans dire un seul mot, sachant qu’ils seraient côte à côte à la barre quand la tempête s’abattrait, ce qui n’allait pastarder. Anna leur fit un sourire amusé comme seule elle pouvait le faire quand Jerzy couvait une colère comme une mauvaise grippe. Elle le pointa du chef, mais retourna à son jeu de patience pour s’occuper les doigts et attendre discrètement le moment où elle sortirait les griffes pour défendre son fils. Toute la famille était habituée à ces soirées de discussion, qui se terminaient toujours par un claquement de porte qui, invariablement, déplaçait le cadre accroché dans la cage d’escalier.
Casimir était assis dans son coin de salon, une pipe à la bouche, le regard fermé sur ce qui lui apparaissait comme une mise au point nécessaire. Il avait d’ailleurs longuement discuté avec Jerzy des devoirs que voulaient abroger les jeunes, ne retenant que leurs droits. Toujours aussi discret, il se leva en souhaitant une bonne nuit à Jerzy, qui grommela une réponse que personne ne comprit. Il descendit à la cave et referma la porte derrière lui pour que la famille puisse oublier sa présence. Cette politesse était plus que symbolique, puisque son ronflement réussissait à monter à l’étage.
Stanislas détestait ces soirées où son père rabâchait les mêmes choses, jouant au grand législateur. Il le lui avait d’ailleurs déjà reproché et Jerzy lui avait demandé s’il avait étudié le fonctionnement du gouvernement, ce qu’il avait été forcé de reconnaître. Son père lui avait alors dit ne pas être impressionné par ses mots recherchés et avait affirmé qu’il n’était pas un législateur mais un père.
Jerzy tourna la tête et le regarda de pied en cap. Sophie soupira et s’assit près de sa mère, prête à bondir. Stanislas ne broncha pas, attendant le moment où sonpère accrocherait son regard au sien. Il abhorrait les affrontements, préférant laisser passer la tornade plutôt que de se précipiter dans son œil.
– Ton chocolat est au réfrigérateur.
Stanislas eut presque envie de rire et alla en ouvrir la porte pour trouver un lapin qui, apparemment, avait fondu avant d’être réfrigéré. Il le prit et en croqua une bouchée qui lui parut difficile à avaler et aussi indigeste que ses hot-dogs, mais il n’en laissa rien paraître, préférant sourire à sa mère pour la remercier de le lui avoir acheté. Sophie tendit la main et il lui donna la tête, dont il avait arraché les oreilles.
– J’aimerais, à l’avenir, que tu me dises si tu rentres avec moi ou non.
Stanislas aurait aimé lui avouer qu’il était particulièrement déçu de cette journée qu’il s’était fait une joie d’attendre, comme tous les ans.
– Je croyais que tu aimais passer l’après-midi de Pâques avec moi.
Anna regarda Sophie et lui demanda de se retirer. Sophie hésita et attendit un signe de son frère pour obéir. Stanislas lui donna un autre morceau de chocolat, la priant de faire attention pour ne pas tacher son drap et son oreiller. Elle monta, essuyant avec sa langue une tache brune à la commissure gauche de ses lèvres.
– Quelle punition penses-tu que tu devrais avoir?
– Être puni? Pour quelle raison? J’ai dix-sept ans, papa, l’âge que tu avais quand…
– Je sais quel âge j’avais quand…!
Anna fit claquer sa langue contre sa canine et soupira en affirmant qu’elle n’avait pas réussi une seule fois son jeu de patience.
– Et toi non plus, Jerzy. Je ne pense pas que tu aies réussi ton jeu de patience, ce soir. En fait, je pense que tu as gardé toutes les mauvaises cartes et jeté les bonnes.
– Anna, ceci est entre mon fils et moi.
– Je veux bien, mais, si j’ai bonne mémoire, tu m’as toujours dit que ta sortie pascale était sacrée. Je ne suis jamais allée avec toi. Jamais. Et tu n’as jamais emmenée Sophie… pardon… ta fille non plus.
Elle posa les cartes sur la table, puis s’approcha de son mari en lui demandant sèchement et
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