L'envol du faucon
George
White. Je reconnais que j'ai été faible avec Samuel parce qu'il est le frère de George, et chaque fois que je l'ai soupçonné de duplicité j'ai essayé d'écarter cette idée de mon esprit par égard pour George. Je suis parti de chez moi à neuf ans, et c'est la dernière fois que j'ai vu mon père jusqu'à ma rencontre avec George. George a été le père que je n'ai jamais eu. Mieux encore, il était tout ce que j'avais toujours voulu qu'un père soit : plein de vie, sage, peu conventionnel mais juste. Je ne prétendrai pas avoir entièrement deviné les intentions de Samuel, mais peut-être ne voulais-je pas voir son jeu. Pourtant, je sens maintenant que j'ai payé ma dette envers George. J'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour son frère. » L'expression de Phaulkon se durcit visiblement. « Je vais devoir le détruire avant qu'il ne me détruise. »
Ivatt frissonna malgré lui. Il n'aurait pas voulu être à la place de White pour tout l'or du monde.
« Quand expire l'ultimatum de Yale ? demanda Phaulkon. A-t-il fixé une limite pour régler les dommages ?
— Il a utilisé le mot "immédiat". De toute évidence, il est l'objet de pressions de son côté. Il a seulement fait allusion au temps qu'il me faudrait pour te rejoindre ici. Il avait l'air tout ce qu'il y a de plus déterminé.
— Je n'en doute pas, Thomas. Yale est un homme avec lequel il faut compter. Il a probablement amassé une aussi vaste fortune que celle de Samuel mais par des moyens beaucoup plus subtils. Il n'hésitera pas à l'utiliser pour son propre avancement et pour me détruire. Dans son esprit, je suis l'exemple même du libre-échangiste, et pis encore, j'ai réussi dans ce rôle.
— Vas-tu payer les dommages ? Entre les exigences d'Ali Beague et celles des Hollandais et de Demarcora, les sommes sont énormes.
— Non, je n'en ferai rien », répondit Phaulkon sans hésiter. Puis, pour la première fois depuis le début du récit d'Ivatt, un léger sourire s'inscrivit sur les lèvres du Barcalon. « C'est Sam White qui va s'en charger sur ses biens mal acquis. » Son sourire s'élargit. « Je ne doute pas qu'il en ait les moyens.
— Comment vas-tu t'y prendre ?
— Il va falloir attendre, Thomas. Aie confiance. N'ai-je pas réussi à faire de toi un mandarin dans des circonstances bien plus défavorables ? » Phaulkon avait retrouvé son sens de l'humour et Ivatt s'émerveilla, comme si souvent auparavant, de son aptitude à changer d'humeur. Il était capable d'étrangler un serpent une minute après l'avoir charmé.
« Dis-moi, Constant, je suis curieux de savoir si les rubis que tu as rendus à Yale avaient vraiment des défauts.
— Ils avaient des défauts, Thomas, mais pas tant que ça. Ils ne valaient certainement pas l'argent que j'avais versé d'avance pour eux. C'est la différence entre Yale et White, vois-tu. Sam aurait acquis des pierres de qualité vraiment inférieure et empoché la différence, tandis que Yale s'est procuré des rubis qui n'avaient que quelques légers défauts. Mais quand on triche, est-ce que le degré change vraiment quoi que ce soit à l'affaire ?
— Mais si Yale refusait de rendre l'argent ?
— S'il refusait, cela me fournirait l'excuse dont j'ai besoin pour discréditer les Anglais. S'il rend l'argent, cela montrera au moins qu'il considère le Siam comme un pays qu'il ne faut pas traiter à la légère.
— Mais pourquoi voudrais-tu discréditer les Anglais ?
— Parce que, mon ami, ils ne sont plus utiles à la cause du Siam, ni à la mienne. Il leur manque la perspicacité et l'élégance requises pour traiter avec un royaume ancien comme le Siam. Au lieu de quoi, ils envoient des marchands qui ne valent guère mieux que des coupe-jarrets et des ivrognes. Le Seigneur de la Vie, qui ne demande qu'à se laisser impressionner par eux, y éprouve pourtant les plus grandes difficultés. Non, Thomas, le bon partenaire, c'est désormais la France. Et les Français ne voudront pas des Anglais dans les parages. Ils ne s'aiment pas. C'est historique et sans doute permanent.
— C'est donc la France qui va remplacer l'Angleterre ?
— Oui, Louis XIV est le monarque le plus puissant d'Europe. Ses ambassadeurs sont des hommes élégants et distingués. Pas des coupe-jarrets ni des ivrognes. Il a envoyé une armée ici, bien plus vaste que celle que j'avais demandée pour la protection du roi. Mais, que cela nous plaise ou non, ils sont ici, alors
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