L'envol du faucon
avec des cris de plaisir. Les enfants étaient heureux dans ce pays béni, songea-t-il, et ce bonheur semblait les accompagner tout au long de leur vie jusque dans leur vieillesse où ils jouissaient de la sagesse et du respect, privilèges réservés au grand âge. On vénérait les personnes âgées au lieu de les abandonner à leur sort. Ivatt avait souvent pensé que la raison pour laquelle les Siamois souriaient tant était que leurs croyances leur donnaient toujours quelque chose à espérer. La jeunesse était une époque d'apprentissage et d'exaltation, l'âge mûr l'occasion de jouir des fruits de ce que l'on avait appris, la vieillesse le moment d'être un patriarche ou une matrone respectés, et la mort le commencement d'un nouveau cycle. Car le but de la vie était le renouvellement de la vie, à l'instar des plantes et des arbres, et la qualité de cette nouvelle vie était le résultat direct de la gentillesse et de la charité dont on avait fait preuve dans la vie antérieure. Comme il était agréable que tout fût si clairement défini, et combien cela contribuait à une existence sereine !
Un jour, il se retirerait ici avec ses femmes, ses livres et son jardin tropical. Peut-être même écrirait-il ses mémoires. La vie d'un aventurier du XVII e siècle au paradis ! Il ne partageait pas la quête effrénée de pouvoir de Phaulkon, ni la cupidité dévorante de White.
Ivatt ne savait que trop bien qu'il était peut-être en train de se faire de White un ennemi permanent, dangereux de surcroît, mais il ne pouvait rien y changer. Il lui fallait joindre Phaulkon au plus vite. Si White avait eu vent de sa présence, il aurait certainement trouvé un moyen de l'en empêcher.
Ivatt avait mené la vie dure aux porteurs et aux rameurs et avait gagné une journée entière. Il accomplirait le trajet en neuf jours au lieu de dix. Maintenant qu'il approchait du but, il se sentait épuisé. Il chercha un endroit pour se reposer sur le petit bateau à voile qu'il avait loué pour la dernière partie du voyage afin de remonter la côte jusqu'à l'embouchure du Fleuve des Rois. Il finit par s'étendre à l'ombre de la voile en aile de chauve-souris et sombra dans un profond sommeil.
Le garde reconnut immédiatement Ivatt et sourit en se prosternant devant lui. Le petit farang était après tout un ami de son maître ainsi qu'un mandarin. Le garde l'informa que Son Excellence venait juste de rentrer du palais et l'escorta jusqu'à une antichambre.
Ivatt avait beau avoir séjourné au palais de Phaulkon à chacune de ses visites annuelles à Ayuthia, la magnificence des lieux lui coupait toujours le souffle. Pourtant il y avait cette fois quelque chose de différent. Bien sûr ! Le merveilleux miroir français au-dessus du manteau de cheminée. C'était nouveau, de même que l'horloge de parquet dans l'angle où se trouvait auparavant un paravent japonais. Le beau service d'argenterie étincelante sur la table laquée était également une nouveauté. Des cadeaux de la délégation française sans doute. Quel homme extraordinaire que Phaulkon, et combien il l'admirait et le vénérait ! Rendez-vous compte ! Le Roi-Soleil prenait la peine d'envoyer de somptueux présents à un ancien mousse grec dans un pays exotique à sept mois de voyage de la France ! Un vrai conte de fées. Le cœur d'Ivatt battit plus fort quand il entendit soudain la voix familière résonner dans un couloir tout proche.
« Est-ce bien mon vaurien préféré, mon petit géant d'homme ? » L'instant d'après, Phaulkon se tenait sur le seuil, le sourire rayonnant et les bras tendus pour l'accueillir. Les deux amis tombèrent dans les bras l'un de l'autre.
« Laisse-moi te regarder, Thomas. Eh bien ! On ne peut pas dire que tu aies beaucoup grandi. » Peu de gens pouvaient taquiner Ivatt sur sa taille sans l'offenser.
« Peut-être pas en stature, Constant, mais certainement en sagesse. A mon tour de te regarder, maintenant. Oh, oh ! Est-ce que je ne détecterais pas un soupçon de gris, là, au-dessus de l'oreille droite ? Bonté divine ! Mais il y en aussi un au-dessus de l'oreille gauche. Ils font la paire !
— Allons, Thomas. Tu ne vois pas que c'est un reflet de toute l'argenterie que les Français m'ont apportée ? » Les yeux noisette de Phaulkon étince-lèrent. « Ils m'ont fait comte de France, tu sais ? » Il rit de bon cœur. « Tu peux maintenant t'adresser à moi en m'appelant comte de Faucon.
— Comte et Premier
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