L'envol du faucon
si ses supérieurs le gardaient au fort et qu'elle se retrouve à la place avec un ogre gras, suant et grêlé ? Elle ordonna à Plern de ramer vers le milieu de la rivière. La nuit venait juste de tomber et ils seraient bientôt invisibles de la rive.
Plern jeta un regard anxieux à sa maîtresse, mais elle se garda bien de questionner ses désirs. La vie en compagnie de Tuk était excitante, et étudier sous la houlette d'une artiste si accomplie était une aubaine pour son avenir, car elle rencontrait de nombreux dignitaires de haut rang. D'ordinaire, elle regardait faire sa maîtresse en se contentant d'éventer les amants, mais quelquefois on lui demandait aussi de donner du plaisir aux dignitaires. Alors qu'un grand nombre des autres filles pouvaient se retrouver au chômage technique, sa maîtresse était constamment sollicitée et le flot de clients intarissable. C'était un privilège de la servir.
Elle empoigna la pagaie à deux mains et jeta un regard furtif aux alentours. Il faisait presque trop sombre pour reconnaître les visages des batelières autour d'elle. Comme elle se mettait à plonger sa pagaie d'abord d'un côté puis de l'autre, elle remarqua, soulagée, qu'un ou deux autres bateaux s'éloignaient également. Elles n'étaient pas les seules à désobéir aux ordres du palais.
La petite pirogue fut bientôt au milieu de la rivière et dériva au fil de l'eau. Plern changea de position et se mit à pagayer contre le courant. De cette façon l'embarcation restait sur place. Tuk éplucha une petite banane, connue sous le nom de « dent d'éléphant », et la plaça dans la bouche du Français. Il mordit dedans sans la quitter du regard. Elle sentait son désir et baissa les yeux affectant la pudeur. Elle prit une pomme-cannelle dans la jatte de fruits devant elle. Elle s'apprêtait à l'ouvrir en la pressant quand il l'attrapa fermement par les poignets et l'attira à lui. Elle parut surprise et fit semblant de résister, sachant d'après la force de sa poigne que toute résistance était inutile. Elle se laissa entraîner sous l'auvent. Il la poussa sur la courtepointe et se glissa voracement sur elle. Elle sentit sa passion entrer dans son corps. Elle tenta de le calmer avant qu'il ne fût trop tard. Elle voulait savourer l'expé-rience et faire durer le moment. Après tout, c'était son premier farang.
Il essayait de poser sa bouche sur la sienne, une bien étrange coutume, mais elle se détourna en lui caressant doucement la nuque et en plaçant son nez contre sa joue pour la humer. A peine eut-il senti qu'elle cédait qu'il se détendit. A son tour il se fit tendre, imitant ses gestes et humant sa joue. Ils rirent de bonheur et il roula sur le côté en l'entraînant avec lui, 1 etreignant fermement et la regardant au fond des yeux à la lueur vacillante de la bougie. Lentement, ils se déshabillèrent l'un l'autre, lui dénouant son panung avec son aide, elle défaisant de la même façon les lacets de ses bottes et lui retirant son haut-de-chausses. Bientôt ils étaient nus, une symphonie de brun et de blanc. Tantôt ils se serraient très fort, tantôt ils s'écartaient pour contempler leurs corps, toute trace de timidité envolée. Ses yeux s'agrandirent quand elle aperçut pour la première fois sa lance d'amour, et il retint son souffle au premier contact avec le velours de sa peau. Ils firent l'amour autant avec les yeux qu'avec leurs corps, oublieux du temps et de l'endroit, tous deux ensorcelés par le contact avec un étranger, tous deux dévorés de passion, de curiosité et d'un irrésistible désir de plaire.
Quand finalement il introduisit sa lance d'amour en elle, délicatement car il entendait ses cris étouffés et sentait sa souffrance, une fraîche brise vint caresser délicieusement ses fesses nues. Un bref coup d'oeil lui permit d'apercevoir l'autre fille, à genoux au bord du matelas, qui l'éventait avec un grand éventail en forme de cœur.
Quel étrange et merveilleux pays, pensa-t-il, tandis que la pirogue, privée momentanément de pilote, dérivait au fil de l'eau.
Au moment où le bateau d'Ivatt entra dans le vaste estuaire du Menam Chao Phraya, son cœur battit plus vite et la nostalgie l'envahit. C'était le pays qu'il connaissait et chérissait. Dans moins d'une journée, il serait de retour à Ayuthia. Un instant, il oublia les nombreux tracas qui l'avaient harcelé pendant le voyage depuis Mergui. Il sourit aux enfants nus qui sautaient dans l'eau
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