L'envol du faucon
leur passa un savon pour leur incompétence. Se souciaient-ils le moins du monde de son confort ? Ils comprenaient à peine ses propos, mais il n'était pas difficile d'en deviner la teneur.
Le lendemain matin, peu après l'aube, le même messager était de retour, accompagné du même interprète. « Il refuse de quitter Mergui sans vous, mon Seigneur, expliqua Davenport, très nerveux. Il prétend que ses instructions sont de la plus grande urgence. »
A peine maître de lui, White les renvoya tous deux avec brusquerie en disant qu'il souhaitait se rendre à Ayuthia seul et qu'il le ferait quand il serait prêt.
Cette fois le messager refusa de bouger. Il se tourna vers l'interprète : « Veuillez informer l'honorable Shahbandar que j'attendrai jusqu'à ce qu'il soit prêt à voyager. »
White eut le plus grand mal à se contenir. Il prit Davenport à part. « Qu'est-ce qui se passe, nom d'un chien ?
— Je ne sais pas, mon Seigneur. Mais il est impossible de se débarrasser de cet émissaire. J'ai tout essayé. Il semble qu'il ne bougera d'ici que par la force. Et ce serait malavisé dans les...
— Comment sont les comptes ? interrompit White. Les avez-vous revus ?
— Oui, mon Seigneur. » Davenport hésita. « Les comptes sont, euh... sont aussi présentables qu'ils peuvent l'être. »
White se contenta d'émettre un grognement. Qu'est-ce que Coates pouvait avoir dit contre lui ? Avait-il fourni une preuve inattendue ? Phaulkon avait-il découvert qu'il n'avait pas reçu toute sa part de butin ? Mais qu'est-ce que cela pouvait faire à Phaulkon alors qu'il avait le pays tout entier à piller ?
Davenport, à son côté, donnait des signes d'impatience. « Je crains fort, mon Seigneur, que, comptes présentables ou non, nous n'ayons d'autre choix que de rentrer à Mergui. »
White lui lança un regard mauvais. « Entendu, Francis, dit-il en jetant un coup d'oeil à l'émissaire. Mais je n'irai pas au-delà de Mergui en compagnie d'un individu si insolent. »
Davenport ne répondit pas. White ordonna à ses domestiques d'emballer ses affaires.
D'un bout à l'autre du court trajet jusqu'à Mergui, il resta sombre et silencieux. L'énormité de ses méfaits traversa son esprit en une interminable procession. Bon Dieu ! Il s'était fait tant d'ennemis. Les accusations et les plaintes contre lui pouvaient avoir surgi de n'importe où. Admettons qu'elles fussent venues de façon continue, l'une après l'autre : Ali Beague, la Compagnie anglaise des Indes orientales, les marchands mahométans, les mandarins de Pegu, et même les citoyens de Mergui. La liste était longue. Pourtant il n'y avait pas de preuve réelle que Phaulkon fût en colère contre lui. Pas de lettre ni de mot de reproche. Mais que pouvait-il y avoir de si urgent pour qu'on attendît de lui qu'il entreprît le voyage jusqu'à Ayuthia en pleine saison des pluies, quand les rivières étaient dangereusement enflées, les sentiers de jungle glissants, les sangsues et les moustiques cent fois plus nombreux ? Phaulkon ne savait-il pas que certains ne survivaient pas à un tel voyage ?
Pendant toute une journée, White resta à Mergui, déchiré entre la confiance et le doute. Il rendit visite à Burnaby pour lui confier le soin de ses affaires personnelles pendant son absence, lui donner des instructions détaillées sur la vente de ses biens au cas où il ne reviendrait pas. Il ordonna ensuite à Davenport de l'accompagner à Ayuthia, ignorant les protestations répétées de son secrétaire qui voulait rester à Mergui et affirmant qu'il était le seul à être assez au courant de toutes les transactions financières pour répondre aux accusations qui pourraient être portées contre lui. Davenport fut forcé de se laisser fléchir mais parvint à persuader White que le messager qui avait fermement refusé de partir allait devoir faire partie du groupe.
Le voyage, d'abord en pirogue puis en chaise à porteurs et enfin à dos d'éléphant, ne fut pas agréable. Chaque jour, les pluies torrentielles créaient des courants rapides et la température chutait brutalement. Les moustiques et les sangsues attaquaient sans pitié. Ils rencontrèrent en chemin un second messager, dépêché par Phaulkon à Mergui pour s'assurer que White était bien parti.
Il leur fallut encore douze journées insupportables avant de pouvoir traverser enfin l'isthme qui sépare l'océan Indien du golfe de Siam. Là, dans la ville côtière de Phipri, deux autres
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