L'envol du faucon
Quand notre homme a aperçu la frégate au loin, il est revenu me faire son rapport. Il m'a cueilli au moment même où je partais pour venir ici. Un vrai coup de chance. »
Les autres fixaient Selim, impressionnés par le fait qu'il avait tiré la bonne conclusion sans même être au courant de l'arrivée de la frégate armée. Selim vivait après tout à Tenasserim, la deuxième ville de la province, à cinq heures de route de Mergui.
« N'est-il pas possible, suggéra timidement Fawzi Ali, que l'arrivée de la frégate anglaise ne soit qu'une coïncidence ? Je veux dire, quelle preuve avons-nous que les deux situations soient liées ? »
Selim le dévisagea. Comme il était pitoyable comparé à son oncle, le précédent Shahbandar ! Quel grand homme il avait été avant que Sa Majesté, poussée par les farangs d'Ayuthia, ne découvrît ses liens avec le soulèvement des Macassars et ne le condamnât à mort ! Désormais, son neveu vivait dans la terreur de partager le même sort et tremblait à l'idée même de défier le pouvoir. Pas étonnant, songea Selim, indigné, qu'Ayuthia eût si volontiers approuvé sa nomination au conseil...
« Nous ne sommes pas absolument certains que les deux soient liées, Fawzi, dit Selim en se contenant, mais nous devons agir comme si elles l'étaient. De cette façon, nous serons mieux préparés. Il doit y avoir une raison pour que Mergui ait reçu l'ordre de s'armer, tu ne crois pas ? »
Fawzi resta silencieux et contempla ses pieds d'un œil morne.
« Qu'est-ce que tu vas faire, alors ? » demanda Hassan, qui jusque-là n'avait pas soufflé mot. Enfant, déjà, il était intimidé par son frère cadet, qu'il haïssait et adulait tour à tour.
« Je vais échanger ma place contre la tienne, Hassan. Nous nous ressemblons passablement, fit remarquer Selim avec un large sourire. Je vais essayer de manger un peu plus et d'avoir l'air aussi prospère que toi. Tu resteras ici chez moi tandis que je déménagerai chez toi à Mergui. La plupart des gens n'y verront que du feu. Il se passe trop de choses à Mergui pour que je reste ici plus longtemps.
— Mais est-ce que le Shahbandar ne te fait pas surveiller ? s'enquit Ibrahim Tariq.
— Si, mais il surveillera mon frère Hassan à la place. »
Hassan eut un sourire forcé. « Tu ne feras rien qui me donne mauvaise réputation, n'est-ce pas, Selim ?
— Tu seras, dit Selim en riant, l'homme le plus recherché de la province quand j'en aurai terminé, mon frère. »
Les autres sourirent faiblement, heureux que ce ne fût pas contre leur place que Selim échangeait la sienne.
« Au vu des derniers développements, j'aimerais partir tout de suite, déclara Selim en se levant. Nous nous rencontrerons à nouveau dès que j'aurai plus de renseignements. »
A quinze cent milles de là, à Madras, Elihu Yale prit la clochette qui se trouvait sur son bureau et l'agita d'un air décidé. « Allez me chercher le capitaine Perriman », ordonna-t-il. Son assistant s'exécuta promptement. Le gouverneur Yale n'était pas homme à plaisanter. Il était strict et l'attention qu'il prêtait aux détails, proverbiale. Dire que le capitaine Perriman n'était pas dans les parages n'arrangerait nullement l'affaire. Il lui faudrait coûte que coûte mettre la main sur lui ; pas question de dire non au gouverneur.
Yale se rassit et considéra la situation. Il n'y aurait jamais, il le savait bien, de date idéale pour partir, alors autant que ce fût maintenant. Au moins les Moghols avaient-ils décidé de ne pas attaquer. Il sourit de satisfaction. Il avait recruté deux hommes dans chaque famille hindoue et un dans chaque famille portugaise dès qu'il avait appris que les armées mogholes s'amassaient à l'extérieur de Madras. En faisant de leur entraînement un spectacle quotidien et de leurs prouesses une démonstration publique, il s'était assuré que les rumeurs au sujet de la force des troupes britanniques grossissaient. Le grondement continu du canon mêlé aux accords martiaux des fanfares militaires avait fait le reste en insufflant dans l'esprit de l'agresseur le degré de crainte nécessaire. Les armées mogholes, au lieu d'agresser Madras, s'étaient arrêtées juste avant la ville et s'étaient livrées au pillage des campagnes environnantes. Conformément aux règles de la diplomatie, le gouverneur Yale avait envoyé des émissaires à la cour du Grand Moghol pour le féliciter de ses succès répétés.
Oui, songeait-il,
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