L'envol du faucon
envisage de se retirer en Angleterre. Mais je dois vous prévenir que c'est un homme désespéré, d'un tempérament violent, qui ne reculera devant rien.
— Mais obéira-t-il à la proclamation ? »
Davenport eut l'air songeur. « Peut-être, mon capitaine, si cela pouvait convenir à ses projets d'avenir. Mais s'il soupçonnait le moins du monde que vous êtes ici pour l'arrêter, vous pouvez vous attendre à une résistance acharnée. Il est en train, en ce moment même, d'améliorer les défenses de la ville.
— En quoi consistent les fortifications de la ville ?
— Une demi-douzaine de canons au sommet de la colline qui domine le golfe, mon capitaine.
— Est-ce que Mergui dispose d'une armée permanente ?
— Pas en tant que telle, mais le seigneur White pourrait probablement rassembler en peu de temps des troupes indigènes substantielles à l'aide de quelques pots-de-vin. Il est encore très maître de Mergui.
— Et qu'en est-il de ses forces navales ?
— Trois ou quatre de ses petits sloops patrouillent dans les îles au large, mais au moment où je vous parle ses bâtiments de guerre sont partis en mission. »
Weltden réfléchit un instant. Les fortifications n'avaient pas l'air considérables quoiqu'elles pussent probablement suffire à dissuader un bateau, surtout si l'on envoyait les corsaires pour harceler le Curtana par-derrière. Cependant, lorsque le gouverneur Yale arriverait avec deux frégates armées supplémentaires, ce serait différent. Quoi qu'il en soit, ses instructions pour l'instant consistaient à essayer de s'assurer de la coopération de White, pas à le défier.
« Monsieur Davenport, ai-je raison de croire que vous aviez pour mission de me sonder avant de décider si oui ou non vous m'invitiez à terre ?
— C'est exact, mon capitaine.
— Alors, je propose que nous nous y rendions sans plus de cérémonie. Je suis impatient de rencontrer le seigneur White.
— Bien sûr, mon capitaine. J'espère que mes... euh... révélations resteront strictement confidentielles.
— Naturellement, monsieur Davenport. Vous pouvez y compter. »
35
Le gros prêtre portugais tourna dans l'étroit sentier sablonneux qui fendait la végétation luxuriante. Repoussant au passage les feuilles de bananier, les fougères et les palmes qui envahissaient son chemin, il se dirigea vers la magnifique plage. Presque quotidiennement, à la même heure, depuis maintenant vingt-deux ans qu'il séjournait à Songkhla, il avait emprunté ce même sentier au coucher du soleil pour contempler l'immensité et la beauté de la création divine. Il s'était assis sur la même vieille souche et avait regardé le ciel s'embraser pour former une immense tapisserie écarlate aux motifs toujours changeants. Emerveillé par le spectacle, il se sentait chaque fois purifié, reconnaissant à jamais envers le Père éternel de sa générosité. Chaque jour aussi, vers la fin de l'après-midi, il tournait les yeux vers le ciel et faisait un petit pari avec lui-même. Comment serait le coucher de soleil aujourd'hui ? Surpasserait-il celui de la veille ? Y en aurait-il jamais un qui puisse à nouveau se comparer au miracle de cette soirée de novembre, neuf ans plus tôt, où il avait cru que la face même du Seigneur allait lui apparaître au milieu des nuages pour lui parler, tant la beauté du firmament était merveilleuse ?
Soudain, il s'arrêta net. N'avait-il pas entendu des voix ? Cela ne s'était encore jamais produit. Quelqu'un avait-il découvert sa retraite spirituelle ? Il était inhabituel aux Siamois de s'attarder sur la plage. La vaste étendue de sable conduisait à des eaux profondes et troubles où les pires démons guettaient, surtout à cette heure où les monstres sortaient pour jouer. Il fit deux ou trois pas en avant et s'efforça de saisir quelques mots. Ils ne parlaient certainement pas siamois. Il connaissait intimement la langue locale. Ce n'était pas non plus du portugais. Il ôta ses sandales et avança à pas de loup sur le sentier sablonneux. Bien qu'il ne fût qu'à une dizaine de pas de la plage, l'épais feuillage le dissimulait complètement aux yeux des étrangers. Il s'arrêta : il était désormais à portée de voix. C'était du français, bien sûr ! Les hommes devaient faire partie du contingent de soldats et de marchands qui étaient récemment arrivés pour troubler la sérénité de sa bien-aimée Songkhla. Il serra involontairement ses poings
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