L'envol du faucon
si mince, en tout cas pas depuis qu'il le connaissait. L'homme s'accroupit en face de Rodriguez.
« Vous vouliez me voir ? demanda-t-il en siamois.
— Seigneur Hassan ? questionna le capitaine de la garde sur un ton hésitant.
— Vous attendiez-vous à quelqu'un d'autre ?
— Votre serviteur m'a déclaré que vous étiez sorti. »
L'homme fixa Rodriguez du regard. « C'est ce que je lui ai ordonné de dire à tous les visiteurs. Comme vous le voyez, je ne vais pas bien. Je n'ai rien mangé depuis des jours. Que puis-je faire pour vous ? »
Rodriguez l'observa d'un air soupçonneux. « Vous avez certainement perdu beaucoup de poids, mon Seigneur. » La fine moustache de l'homme se tortilla. Rodriguez ne se rappelait pas l'avoir vu faire cela auparavant. Peut-être était-il vraiment malade. « Je suis désolé de vous déranger. J'allais attendre votre retour. Il ne s'agit que d'une question de routine. Son Excellence le Shahbandar a besoin de votre signature sur un document. Les autres membres du conseil ont déjà signé.
— Quel document ? »
Rodriguez le sortit de sous sa tunique rouge et le lui tendit.
L'homme le parcourut brièvement. « Où est la version siamoise ? Je ne peux pas le lire.
— Malheureusement le traducteur est tombé malade. Son Excellence m'a chargé de vous dire que, comme c'est urgent, il vous serait obligé de bien vouloir signer immédiatement. Le texte siamois sera rajouté dès que le traducteur sera rétabli.
— Il y a d'autres traducteurs, tout de même.
— Oui, mais pas officiels. Bien qu'il s'agisse d'un document de routine, c'est quand même un document officiel. C'est ce que j'ai expliqué aux autres membres du conseil. Ils ont compris. Je vous en prie, signez.
— Que dit le document ?
— Il concerne un bateau de la Compagnie qui demande l'autorisation d'entrer dans les eaux de Mergui.
— Quel est le nom du bateau ?
— Je ne sais pas.
— Pourquoi est-ce urgent ? »
Rodriguez commençait à s'énerver. Le seigneur Hassan n'était habituellement pas si agressif. Il l'observa attentivement. Ni aussi mince. S'agissait-il réellement du même homme ?
« Mon Seigneur, Son Excellence le Shahbandar ne veut pas offenser la Compagnie anglaise en faisant attendre un de ses bateaux. Son Excellence estime qu'il est de l'intérêt du Siam de l'obliger sans délai. Vous avez son assurance que la traduction sera ajoutée plus tard.
— C'est tout à fait irrégulier. Vous allez devoir me laisser ce document. Vous pouvez venir le rechercher demain. »
Rodriguez eut le plus grand mal à contenir son indignation. « Demain, ce sera trop tard, explosa-t-il.
— Vous m'en voyez désolé, mais je dois faire ce que je juge être de mon devoir.
— Votre devoir est envers votre pays, seigneur Yussuf, et vous y manquez.
— Comment osez-vous me parler sur ce ton ? Je signalerai votre impudence au Shahbandar. Partez d'ici immédiatement. »
Le grand gaillard d'Eurasien se leva et domina le Maure de toute sa hauteur. Il voulait l'écraser comme une mouche, mais une voix à l'intérieur de lui-même ne cessait de l'avertir qu'il n'obtiendrait pas de signature de cette façon. Il se souvint également que son maître l'avait exhorté à user de persuasion et non de la force.
« Seigneur Hassan, ne nous disputons pas pour une question si insignifiante. Son Excellence vous demande une faveur pour laquelle vous serez dûment récompensé. Vous connaissez sa générosité dans ce domaine. Je suis certain que vous ne le regretterez pas. Comme vous le voyez, les autres ont tous signé.
— C'est leur droit, tout comme le mien est de décliner de le faire. Je vous ai déjà dit que si vous me laissiez le document vous pourriez venir le prendre demain.
— Avec votre signature ?
— Très probablement.
— Alors pourquoi ne pas le signer maintenant ? Quelle est la différence ?
— La différence, c'est que j'aimerais d'abord en connaître le contenu.
— Doutez-vous donc de la parole du Shahbandar ?
— Je ne doute de la parole de personne. J'aime simplement faire les choses dans les règles.
— Le Shahbandar ne voit pas d'un œil favorable les gens qui le contrarient. Je n'aimerais pas être à votre place. »
La réponse fusa :
« En effet. Elle ne vous irait guère. »
Rodriguez serra les poings. Il sentait monter en lui une fureur incontrôlable. Il tourna les talons et sor-tit comme un ouragan avant de commettre un acte irréparable.
Selim
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