L'envol du faucon
le regarda partir en s'interrogeant sur le contenu du document.
38
« Bonjour, mon général. J'espère que vous avez fait un agréable voyage. »
Desfarges ressentit un certain trouble tandis qu'il se tenait devant Phaulkon dans l'entrée de sa salle d'audience à Louvo. Le sourire engageant était notablement absent, et il y avait quelque chose de froid, de presque hostile, dans le salut rituel du Premier ministre. La forme péremptoire de la convocation n'avait rien fait non plus pour chasser son inquiétude. Ce n'était pas un messager ordinaire qui était venu le chercher à Bangkok mais le secrétaire personnel de Phaulkon. On lui avait dit de faire ses bagages et de se préparer à une absence prolongée. Le secrétaire n'avait fourni aucune explication et, en réponse aux demandes répétées de Desfarges, s'était contenté de hausser les épaules.
« Le voyage s'est bien passé, mon Seigneur, bien que le départ ait été un peu précipité, dit le général en esquissant un sourire.
— Avez-vous emporté des vêtements de rechange ?
— Oui, mon Seigneur, comme votre secrétaire en a donné l'instruction.
— Bien. » L'expression de Phaulkon demeurait intraitable. Puis, subitement, une lueur amusée brilla dans ses yeux comme s'ils se moquaient de la gêne évidente du Français. Il indiqua de la main quelques coussins. « Vous ne voulez pas vous asseoir ? »
Pendant que Desfarges s'affalait lourdement sur les coussins, Phaulkon se dirigea vers la cheminée de marbre à l'autre bout de la pièce. Il s'arrêta, le dos tourné au visiteur. Desfarges attendit en silence, le cœur battant.
Soudain Phaulkon se retourna. « Est-ce que vous vous rendez compte que je pourrais vous faire jeter en prison ? Ou même exécuter ? »
Le général pâlit. Emprisonnement ? Exécution ? Que signifiait tout cela ? Phaulkon ne pouvait tout de même pas être au courant ! Non, c'était impossible. Les Français étaient partis pour Songkhla moins de deux semaines auparavant. Ils devaient descendre toute la côte orientale de la péninsule malaise avant de doubler le cap de Singapour puis remettre le cap au nord pour remonter le long de la côte occidentale. Une fois là, Mergui était encore à une certaine distance. Ils ne pouvaient accomplir le voyage en moins de quatre ou cinq semaines, même si les vents restaient favorables. De plus, après leur arrivée à Mergui, il faudrait dix jours encore pour que la nouvelle de leur arrivée parvînt à Phaulkon à Ayuthia.
« Je... je ne comprends pas, Excellence, fit Desfarges d'une voix tremblante.
— Qu'est-ce que vous ne comprenez pas, mon général ? Comment je peux être au courant ? Eh bien ! Je le suis. C'est tout. » Sans broncher, Phaulkon le fixait d'un regard qui lui intimait de répondre.
Desfarges transpirait à grosses gouttes. Il n'avait jamais sous-estimé Phaulkon, mais là, c'en était trop. Comment était-il possible qu'il sût ? Même si le Gaillard avait été repéré, il n'y aurait rien de bizarre à cela. Le voyage de retour en France passait de toute façon par le cap de Singapour.
« Mon Seigneur, nous nous connaissons depuis un certain temps, implora le général, et je... euh... j'ose dire que nous sommes... euh... qu'il existe une certaine amitié et une certaine confiance entre nous. Au nom de cette amitié, je vous supplie de me dire de quoi il s'agit. »
Phaulkon fronça les sourcils. « Ma confiance et ma patience diminuent à vue d'œil, mon général. »
Desfarges fut pris d'un vertige. Et s'il crachait le morceau à Phaulkon ? A cette idée, il eut la conscience étrangement soulagée. De deux choses l'une : ou Phaulkon connaissait déjà le pire — encore que Dieu seul sût comment c'était possible —, et il pourrait peut-être encore sauver sa peau, ou Phaulkon n'était pas au courant, et il ferait échouer un plan qu'il désapprouvait de toute façon. Plus Desfarges y réfléchissait, plus il voyait un avantage à avouer.
Il se força à parler. « Le Gaillard cingle vers Mergui, mon Seigneur. »
Phaulkon lui lança un regard furieux. « Continuez.
— L'ambassadeur La Loubère était mécontent de l'étendue des progrès des Français au Siam. Il m'a ordonné... euh... de recourir à la force militaire. J'y étais opposé. Il m'a ensuite menacé de la cour martiale en France. Je ne voulais toujours pas accepter. Finalement, lui et Cébéret ont rejeté mon avis, et c'est le chef d'escadre Vaudricourt qui a reçu
Weitere Kostenlose Bücher