L'envol du faucon
faire la tournée des provinces et lui rendre compte de l'état de satisfaction du peuple. Qui, a\ ait proclamé Phaulkon, soupçonnerait jamais un fan ng dans ce rôle ? C'était un stratagème outré donl la découverte aurait pu lui coûter la vie, mais le Grec s'en était bien sorti. C'était le bon temps, songea Ivatt avec nostalgie. Que d'aventures ils avaient connues, tous les trois ! Sam White ne faisait alors pas partie de l'équipe.
Non, Phaulkon était un joueur talentueux, un brillant tacticien. Ses stratégies étaient fondées sur la surprise et non sur un procédé aussi banal qi e la confrontation directe. Plus Ivatt y réfléchissait, d I us il était convaincu que White agissait pour lui seul, tandis que Phaulkon, tout au plus, fermait les yeux. En tout cas, si les rumeurs récentes qui circulaient à Madapolam étaient vraies, le point de mira de
Phaulkon était pour le moment ailleurs. On racontait qu'une importante et éminente délégation française, conduite par des aristocrates de la cour de Versailles, se dirigeait vers Ayuthia. Phaulkon serait très occupé à la recevoir.
Il y eut une série de coups rapides frappés à la porte. C'était Gopal, le secrétaire d'Ivatt. Il se tenait sur le seuil, sa poitrine maigre haletant sous son élégante veste blanche.
« Pardonnez-moi, Seigneur, mais un navire marchand anglais battant pavillon siamois nous a été signalé près de l'embouchure du fleuve, à Narasapur. Des hommes armés ont été aperçus en patrouille sur ses ponts et des chaloupes ont effectué des voyages de reconnaissance sur la rivière. Je suis inquiet, Seigneur, qu'aucun des officiers ne soit venu vous informer de son arrivée.
— Depuis quand le navire a-t-il jeté l'ancre ?
— Depuis ce matin, Seigneur. Ils ont eu une journée entière pour signaler leur présence. »
Il était de coutume pour les vaisseaux siamois d'annoncer leur arrivée au représentant de Sa Majesté siamoise, à Golconde. Bien que la résidence officielle d'Ivatt fût à Madapolam, à quelque cinq milles de la ville de Narasapur, ils auraient dû envoyer quelqu'un pour l'avertir. Le crépuscule était proche. Le nouvel arrivant mijotait un mauvais coup. Un sentiment désagréable gagnait peu à peu Ivatt.
La Nouvelle-Jérusalem n'aurait-elle pas jeté l'ancre près de Narasapur ? se demanda-t-il. Peu après, Ivatt écarta ses soupçons, qu'il jugeait ridicules. La Nouvelle-Jérusalem était probablement le plus grand vaisseau chargé de trésors sur ces eaux. Il était la propriété d'un riche nabab arménien, John Demar-cora, et il faisait souvent escale à Golconde pour commercer. Cette fois-ci, on disait qu'il transportait une cargaison inestimable de rubis de Pegu, royaume birman dont Demarcora était lui-même mandarin. L'Arménien battait pavillon péguan et jouissait de la protection de la Compagnie anglaise des Indes orientales grâce au commerce substantiel qu'il faisait avec elle.
« La Nouvelle-Jérusalem est bien à Narasapur, Seigneur. Elle est mouillée dans le fleuve à l'extérieur de la ville. Les marchands de pierres précieuses d'Ali Beague lui ont rendu visite en un flot continu.
— Nous ferions mieux d'aller enquêter, Gopal. Préparez un moyen de transport et dites au cuisinier que le dîner devra attendre. »
Il vit son frêle secrétaire, noir comme du charbon, s'incliner et quitter la pièce. C'était un homme efficace et de sang-froid, toujours avide de servir et peu enclin à exagérer ses rapports. Il parlait bien l'anglais, qu'il avait appris au cours des cinq ans passés au service de la Compagnie anglaise des Indes orientales, ainsi que deux dialectes de la région. Tout en fouillant dans le tiroir de son bureau pour trouver ses papiers officiels, Ivatt songeait qu'il avait eu de la chance de l'avoir persuadé de quitter le service de la Compagnie. Puis, frappant doucement sur le double fond, il en sortit un mousquet serti de diamants et de perles, cadeau du roi de Golconde en des temps plus cléments. Il le rangea sous 1 echarpe qui ceignait sa longue tunique indienne et se dirigea vers la porte.
Bien que le soir tombât, la chaleur était encore étouffante, et Ivatt ruisselait de sueur tout en marchant d'un pas décidé sur le chemin de terre conduisant à l'arrière de la maison où Gopal aboyait des ordres. Des serviteurs tamouls en pagnes poussiéreux préparaient sa chaise dorée destinée à être portée par quatre hommes, deux à chaque
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