L'envol du faucon
représentant commercial de Sa Majesté siamoise n'y fût invité. Il supervisait en ce moment la construction de trois navires marchands supplémentaires, spécialement renforcés pour le transport des éléphants à travers le golfe. Seuls les chantiers navals de Madapolam possédaient le savoir-faire nécessaire à la construction de tels vaisseaux, et le commerce des éléphants siamois était en plein essor. Lr demande en provenance des opulentes cours de:; rajahs était apparemment insatiable. Quand ils étaient en guerre les uns contre les autres, ils avaient besoin d'éléphants pour leurs armées, et quand ils étaient en paix, ils en avaient besoin pour les mariages et les parties de chasse.
Il était vrai que le Siam lui manquait, quelquefois intensément. Mais, une fois par an, il entreprenait u n voyage de cinq semaines vers Ayuthia — tro s semaines pour traverser le golfe à la voile, un br«;f repos à Mergui, puis dix jours en pirogue, à dos d'éléphant et en char à bœufs à travers l'isthme — pour faire son rapport à Phaulkon. Comme il attendait avec impatience le moment où il apercevrait de no j -veau dans le lointain les flèches étincelantes de >a chère Ayuthia ! Grâce aux visites que lui rendaient régulièrement les navires marchands siamois, il avait pu entretenir son siamois appris à grand-peine. En effet, si les officiers de la marine marchande de Sa Majesté étaient anglais, l'équipage était pour l'essentiel siamois. Ivatt n'aimait rien tant que le deuxième jour de mouillage d'un bateau au port. Le premier jour, il était de son devoir de recevoir le capitaine et ses officiers, mais, le deuxième jour, il invitait l'équipage siamois dans sa maison à une fête que ses cuisiniers indiens étaient devenus experts à préparer. Le moindre Siamois semblait avoir quelques connaissances en cuisine, et divers membres d'équipage avaient au fil des ans enrichi le répertoire de son cuisinier de leurs spécialités. Ivatt avait la réputation de servir la cuisine orientale la plus raffinée et la plus variée du golfe du Bengale. C'était de la bouche des équipages siamois — devant l'alcool de riz, les anguilles à l'ail, les crevettes pimentées et les œufs de crocodile — que le représentant du roi de Siam découvrait ce qui se passait vraiment dans le golfe, les incidents qui n'apparaissaient pas dans les rapports officiels des capitaines de Sam White.
Une fois de plus, l'esprit d'Ivatt revint aux deux lettres reçues de White. Elles étaient arrivées deux semaines auparavant, mais, bien qu'il eût pris des mesures à propos de la lettre officielle qui contenait une juste demande de dommages et intérêts à Ali Beague, il n'avait rien fait concernant la seconde. Il était certain qu'agir comme White le suggérait déclencherait une série de désastres irréversibles. Le fait était que le fier et hautain Ali Beague n'avait pas répondu à sa première demande et avait ignoré le rappel suivant. Ivatt songea qu'une confrontation avec le gouverneur de Masulipatam, port principal de Golconde, ne pouvait avoir que des effets néfastes sur le commerce dans le golfe. Pis encore : la Compagnie anglaise des Indes orientales, avec ses navires de guerre puissants, ses fortifications à Madras et ses comptoirs à l'intérieur et à l'extérieur de Golconde, serait inévitablement entraînée dans un conflit er raison de sa présence même dans la zone.
Phaulkon était un tacticien trop habile pour laisser une telle situation se développer. C'était un<; chose de demander une juste compensation à Ali Beague, mais c'en était une autre de le provoquer délibérément. Ivatt n'avait que trop souvent vu Phaulkon opérer dans le passé : « Apprenez auprès des Siamois, avait-il l'habitude de dire, et ne vous engagez pas irrévocablement. Ne brûlez les pon s qu'en dernier ressort. Regardez comme les Siamo s se sont bien débrouillés ! Mille ans sans aucun maître venu d'ailleurs. » Phaulkon aurait-il réelb-ment suggéré de provoquer une guerre ouverte avoc Ali Beague ? Ivatt en doutait. Il se rappelait avec quel brio Phaulkon avait manœuvré le gouverneur de la province de Ligor, quand tous trois, Burnaby, Phai il-kon et lui-même, avaient été placés en résidence surveillée pour contrebande de canons avec la reine rebelle de Pattani. Phaulkon avait réussi à convaincre le gouverneur, qui n'était pas un imbécile, qu'il était un espion envoyé par le roi de Siam pour
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