L'envol du faucon
nouveau derrière un nuage. Tout était calme. Les bateliers gardaient leurs rames suspendues en l'air. Gopal fixa Ivatt.
« Avancez doucement, dit Ivatt à voix basse. Ils doivent se trouver au prochain détour du fleuve. »
Gopal traduisit. Les rameurs hochèrent la tête d'un air résolu et se mirent à rebrousser chemin. Ivatt porta la main à sa ceinture et en tira son mousquet. Les rameurs s'immobilisèrent, fixant d'un œil terrifié la gueule de l'arme à feu.
« Continuez à ramer, ordonna doucement mais fermement Ivatt. Je vous dirai quand vous arrêter. » Les rameurs obéirent à contrecœur, faisant aussi peu de bruit que possible et se retournant à chaque coup de rame pour regarder Ivatt. Juste devant, le fleuve décrivait un grand coude. Ils s'y dirigèrent peu à peu avec précaution. Comme ils s'en approchaient, le bruit de voix échauffées s'éleva dans l'obscurité. Puis, tout aussi soudainement, il cessa. Le bateau se mit à avancer à une allure très ralentie et Ivatt appuya son mousquet contre la tête du premier rameur. La menace eut l'effet désiré et le bateau reprit de la vitesse, pénétrant progressivement dans le méandre. Ivatt fixait l'obscurité devant lui. Des éclats de lumière leur révélèrent le paysage alentour lorsque la lune brilla de nouveau à travers un nuage.
Tout à coup, les nobles contours de La Nouvelle-Jérusalem surgirent devant eux, au milieu du fleuve, ses hauts mâts s'élançant vers le ciel nocturne. Autour de lui tanguait une flottille de chaloupes qui lui étaient amarrées. Des ombres allaient et venaient en silence sur le pont.
Les rameurs faiblirent à nouveau jusqu'au moment où Ivatt enfonça un peu plus la gueule de son mousquet dans la nuque du premier rameur. Il donna un dernier avertissement laconique et les rameurs se remirent au travail, les bras coupés par la peur, le regard suppliant. La barque s'était presque rangée le long du flanc du navire quand elle fut aperçue. Une voix retentit, plusieurs hommes accoururent et se penchèrent au bastingage d'un air interrogateur. Une douzaine de pistolets furent braqués sur la petite embarcation.
« Qui êtes-vous ? Déclinez votre identité ! ordonna en anglais une voix bourrue.
— Thomas Ivatt, représentant de Sa Majesté siamoise à Golconde. » Ivatt se mit debout et s'inclina de façon incongrue. Il distingua un certain nombre de silhouettes qui se découpaient au-dessus du bastingage. Elles parlaient à voix basse dans une langue qui semblait être de l'anglais. Demarcora était arménien et son bateau birman...
« Que voulez-vous à pareille heure ? demanda la même voix.
— Je dois voir le seigneur Demarcora, répondit Ivatt. Veuillez l'informer que je suis ici. » Ivatt ne pouvait distinguer le visage de son interlocuteur, mais il l'entendit se retourner et donner un ordre. Un autre homme salua et disparut.
Un silence embarrassé s'ensuivit, interrompu seulement par le clapotis de l'eau contre le flanc du navire. Les rameurs regardaient Ivatt d'un air suppliant comme pour lui arracher l'ordre de rebrousser chemin. Gopal continuait à fixer en silence le pont de La Nouvelle-Jérusalem. A cette heure, il n'y avait pas de trafic sur le fleuve, bien qu'ils ne fussent pas à plus d'un mille de Narasapur. Des nuages conti-nuaient à passer devant la lune, laissant de temps à autre entrapercevoir la ville.
Il y eut, de nouveau, du mouvement sur le navire et un échange de chuchotements.
« Le seigneur Demarcora n'est pas à bord. Vous feriez mieux de revenir demain. » C'était la même voix qui s'était déjà adressée à Ivatt.
« Qui est votre capitaine ? insista Ivatt.
— Il n'est pas ici. Il n'y a personne. Ils sont tous à Narasapur.
— Mais quel est le nom de votre capitaine ?
— Ecoutez, monsieur. Je vous ai dit de revenir demain. Il n'y a personne ici pour le moment.
— Bon, très bien. Je vais laisser un mot. Mais tout ceci est très bizarre. » Ivatt ordonna aux rameurs réticents de se ranger à côté du navire.
« Vous ne pouvez pas monter à bord, dit la voix d'un ton irrité. Je vous préviens. » Ivatt entendit armer un pistolet. Il jeta un coup d'œil à travers l'obscurité. Les rameurs s'immobilisèrent, les rames en l'air.
« Mais je veux juste laisser un message, dit Ivatt. Je suis un ami du seigneur Demarcora. Il sera très surpris d'apprendre tout ceci.
— Peut-être. Mais il m'a donné pour consigne de ne laisser monter personne à
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