L'envol du faucon
de Somboon et Virawat. C'étaient tous deux des émissaires des moines, plus précisément du puissant supérieur de Louvo qui, disait-on, avait l'oreille du patriarche suprême. Les émissaires n'étaient pas revêtus de la robe safran comme les autres moines, car ils n'étaient que des laïcs liés de près à la hiérarchie bouddhique. Il n'aurait guère été approprié que le vénérable supérieur apparût en personne à une telle réunion. Il avait néanmoins assuré Petraja que ses représentants étaient entièrement dignes de confiance et ne rendraient compte qu'à lui. C'était la première fois qu'ils apparaissaient en telle circonstance à la suite d'une requête de Petraja auprès du supérieur. Le puissant clergé bouddhiste, vénéré par le peuple, était de plus en plus inquiet des méthodes agressives de l'église chrétienne, et faisait partie intégrante du plan d'ensemble du général, dominé par son ambition ultime qui était d'accéder un jour au trône de Siam.
Après avoir parcouru des yeux l'assemblée, Petraja commença son discours :
« Honorables collègues, vous savez tous que notre Pra Klang a livré le fort de Bangkok à l'armée farang en visite. Je n'ai guère besoin de vous dire que Bangkok, situé comme il l'est près de l'estuaire du grand Menam Chao Phrava, tient lieu d'yeux et d'oreilles à notre nation. De telles concessions ne sont pas nouvelles dans l'histoire, elles sont simplement nouvelles dans l'histoire du Siam. Mais nous pouvons tirer des leçons de l'histoire des autres nations. Celle-ci a montré que chaque prince oriental qui a choisi cette voie est devenu le vassal de l'Etat européen auquel il avait offert sa fatale hospitalité. Nous qui avons conservé si longtemps notre indépendance, pourquoi devrions-nous sciemment perdre cette liberté en échange des chaînes des Français ? Car dépendre d'une autre nation n'est rien d'autre que de l'esclavage. Regardez autour de vous, mes Seigneurs. Les Macassars sont venus chercher refuge sur nos rives. Pourquoi ? Parce que les Hollandais, prétendant n'être intéressés que par le commerce, s'étaient rendus maîtres de leur patrie aux Célèbes. Regardez partout où les Portugais, les Espagnols et les Hollandais sont bien installés aujourd'hui, et demandez-vous : qu'est-il arrivé aux princes de ces pays ? Où sont passés les souverains autochtones ? Ce sont des marionnettes, mes Seigneurs, et leurs sujets des esclaves.
« Nous avons entendu de grandes choses au sujet du roi de France, mais notre roi n'est-il pas également un souverain juste et puissant ? Nous avons entendu parler de la voie chrétienne vers Dieu, mais sommes-nous las de notre propre foi ? Je vous le demande, mes Seigneurs, n'avons-nous pas assez d'ingénieurs pour nous construire de beaux temples et assez de soldats et de bateaux pour aller jusqu'en France ? Pourquoi ne les envoyons-nous pas dans leur ville appelée Paris, pourquoi ne faisons-nous pas occuper leurs forts par nos soldats et construire des temples bouddhistes par nos architectes, pourquoi ne leur prêchons-nous pas les sermons de notre guide ? Parce que le roi de France et les mandarins français ne voudraient pas en entendre parler. Pourtant, nous avons accueilli l'étranger sur notre sol. Nous l'avons invité à partager notre riz et autorisé à prêcher sa foi. Tout cela est bien. Les lois de l'hospitalité n'en exigent pas moins. Mais devons-nous maintenant lui livrer nos villes et laisser ses troupes les occuper ? Bientôt nous n'aurons plus à chercher ce que nous pourrions lui donner, car il aura tout pris. Mes Seigneurs, je vous le dis : le Siam aux Siamois ! »
Petraja s'interrompit pour laisser à ses paroles le temps de faire leur effet. Il parcourut du regard le groupe clandestin qu'unissaient la haine des farangs et la détermination à voir expulsés du sol siamois jusqu'au dernier leurs prêtres puants, leurs commerçants et leurs soldats. Le groupe était petit : il était dangereux de recruter d'autres membres, car ces derniers pourraient trouver plus d'avantages à révéler le complot à Sa Majesté qu'à s'y joindre. Mais il était assez puissant.
Petraja remercia l'assemblée de son attention et invita Kosa Pan, recrue la plus récente et la plus émi-nente du groupe, à prendre la parole.
Kosa regarda à son tour les visages qui se tournaient, pleins d'espoir, vers lui. Sa méfiance à l'égard de tous les farangs et son aversion pour les Français en
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