L'envol du faucon
soit Premier ministre de notre ancienne nation souveraine, bien que les prêtres farangs jouissent de privilèges spéciaux et que le bruit coure que Sa Majesté elle-même envisage d'embrasser la foi farang, nous vaincrons. Nous rassemblerons les preuves, ferons courir des bruits et sèmerons la discorde partout où ce sera possible, jusqu'à ce qu'il y ait suffisamment de chaos dans le pays pour obliger le Pra Klang à renoncer à son projet d'accueillir des farangs sur notre sol. Dans l'immédiat, nous nous occuperons du Shahbandar renégat de Mergui. Il faut démasquer cette canaille et lui donner une bonne leçon. » Le général regarda Mohammed. « Il semble clair à mes yeux que Selim Yussuf est l'homme qu'il nous faut. Voulez-vous vous en occuper, Mohammed ?
— Vous pouvez compter sur moi, mon général.
— Bien. En attendant, que la discorde et le chaos soient notre mot d'ordre ! » Il se leva. « Et maintenant nous ferions mieux de nous séparer avant que notre absence à nos postes n'éveille des soupçons inutiles. »
18
Le lendemain du banquet de gala, La Loubère retourna au fort de Bangkok où l'attendait une équipe distinguée de lettrés siamois. Il était accompagné par les officiers supérieurs qui avaient été invités à assister aux cérémonies officielles et par Cébéret qui devait s'atteler à la tâche d'y installer un comptoir français. Le roi partit pour Louvo sur la barque royale en compagnie de sa nouvelle garde du corps française placée sous les ordres du commandant Beauchamp. Ils devaient occuper leur nouveau poste au palais aussi longtemps que Sa Majesté choisirait d'y résider.
De tous les dignitaires français qui avaient assisté aux festivités, seul le général Desfarges restait désormais à Ayuthia. Il s'était réjoui de la suggestion de Phaulkon qui l'avait invité à rester une journée de plus pour visiter la ville et examiner le plan de la cité avant de rejoindre la garnison à Bangkok. Seul un aide de camp était resté à son côté.
C'était l'occasion que Phaulkon attendait. Il allait pouvoir divertir le Français en toute discrétion, à l'abri des yeux fureteurs de ses officiers.
Le général Desfarges rêva beaucoup cette nuit-là. Il s'était couché fatigué au terme d'une longue mais fascinante journée passée à explorer Ayuthia. Le somptueux dîner qui avait suivi avait été gracieusement présidé par la charmante dame Maria. Phaulkon avait à coup sûr une excellente table. Levêque d'Héliopolis, du séminaire jésuite, y avait également assisté et la conversation avait été animée. La der-nière chose présente à son esprit, avant qu'il ne s'endormît, avait été l'image souriante de son hôtesse.
Il rêva de banquets, d'armées, de conquêtes, de gloire et aussi de dame Maria qui lui souriait : le dîner était fini, les invités étaient partis, et ils étaient restés seuls tous les deux. Elle l'entraînait hors de la salle de banquet d'un mouvement lent et glissant, et il la suivait en s'émerveillant de sa grâce. Puis le visage de Phaulkon, furieux et tendu, apparaissait à la tête d'une immense armée et lui bloquait le chemin. Phaulkon donnait un ordre et dix mille soldats siamois le visaient de leur lance. Phaulkon hurlait un autre ordre et ils lançaient leurs armes. Les lances volaient vers lui à une vitesse incroyable et se dirigeaient vers son visage, sa poitrine, son ventre, son bas-ventre !
Desfarges hurla et se réveilla en sursaut, assis sur son lit. Il transpirait abondamment. Dieu merci, ce n'était qu'un rêve !
Il se rallongea. Puis il retint sa respiration. Il était sûr d'avoir entendu un léger bruissement. Il l'entendit de nouveau. Cela venait de l'autre extrémité de la pièce. Il plissa les yeux pour mieux voir. Un rai de lumière filtrait sous les portes lambrissées qui menaient au jardin. C'était juste assez pour qu'il distinguât la silhouette d'une jeune fille accroupie tenant à la main un balai en forme d'éventail. Il cligna des yeux. Elle était en train de balayer la pièce ! Quelle heure étrange elle avait choisie... Ce devait être l'aube. Peut-être la coutume voulait-elle que les chambres soient impeccables avant que les invités ne se réveillent. Il resta allongé et fixa le plafond. Son oreille décela un bruit similaire de l'autre côté. Il tourna la tête et distingua une autre silhouette féminine qui s'avançait à croupetons en balançant régulièrement un balai de
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