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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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je l’ai aimée, par le Dieu
tout-puissant, dispensateur des tempêtes et des apaisements, et je l’ai appelée
« mon trésor », sans savoir qu’elle était désormais tout ce que je
possédais, et je l’ai appelée « ma vie », ce qui n’était que justice,
puisque c’est par son entremise que Dieu m’a permis d’échapper à la mort.
    Deux jours et deux nuits, le vent a rugi, et la
neige s’est entassée, bouchant très tôt l’entrée de la grotte et nous y
retenant prisonniers.
    Le troisième jour, des bergers vinrent dégager l’ouverture,
non dans l’intention de nous sauver, mais pour s’abriter dans la grotte le
temps d’un repas. Ils ne semblèrent nullement réjouis de nous voir, et je ne
tardai pas à en connaître la terrible raison. Surpris par la tempête, gardes et
chameaux avaient péri engloutis dans la glace. En m’approchant, je me rendis
compte que les biens avaient été la proie des pillards et les corps celle des
charognards. Le campement de ma caravane n’était que désolation et délabrement.
J’eus la présence d’esprit de ne me montrer affecté ni par la mort des hommes
que j’avais engagés ni par la perte de ma fortune. J’avais en effet réalisé au
premier coup d’œil que les bergers n’étaient pas étrangers au pillage.
Peut-être même avaient-ils achevé les blessés. Un mot de moi ou de Hiba pouvait
nous valoir le même, sort. Taisant toute ma rancœur, je pris mon air le plus détaché
et dis :
    « Telle est la sentence du
Très-Haut ! »
    Et, dès que mes interlocuteurs eurent approuvé d’un
dicton, j’enchaînai :
    « Pourrions-nous jouir de votre hospitalité,
en attendant de reprendre la route ? »
    Je n’ignorais pas les mœurs étranges de ces
nomades. Ils tueraient un croyant sans un moment d’hésitation pour s’emparer d’une
bourse ou d’une monture, mais il suffit de faire appel à leur générosité pour
qu’ils se transforment en hôtes prévenants et empressés. Un proverbe dit qu’ils
ont toujours un poignard à la main, « soit pour t’égorger, soit pour
égorger un mouton en ton honneur ».
     
    *
     
    « Deux dinars d’or et cinq dirhams d’argent !
Je les ai comptés et recomptés, pesés et secoués. Voilà tout ce qui reste de
mon immense fortune, tout ce qui me reste pour traverser le Sahara jusqu’au
pays du Nil, et pour recommencer ma vie ! »
    À mes lamentations répétées, Hiba opposa un
sourire indéchiffrable, coquin, moqueur et bienveillant à la fois, qui ne fit
qu’attiser ma colère.
    « Deux dinars d’or et cinq dirhams d’argent,
hurlai-je à nouveau ! Et pas même une monture, ni un seul habit à l’exception
de celui que le voyage a encrassé !
    — Et moi, alors, ne suis-je pas à toi ?
Je dois bien valoir cinquante pièces d’or, peut-être davantage. »
    Ce qui ôtait à son propos tout soupçon de
servilité, c’était le clin d’œil qui l’accompagnait, et puis surtout ce paysage
que Hiba embrassait d’un geste souverain : un champ d’indigotiers, sur les
bords du fleuve Dara, à l’entrée du village où elle était née.
    Des gamins accouraient déjà, puis ce fut le tour
du chef de la tribu, peau noire, traits fins et barbe blanche en collier, qui
reconnut tout de suite ma compagne en dépit de dix années d’absence, et qui la
serra contre lui. Il s’adressa à moi en arabe, se disant honoré de m’offrir l’hospitalité
de son humble demeure.
    Hiba me le présenta comme son oncle
paternel ; de moi, elle dit que j’étais son maître, ce qui était sans
doute l’exacte vérité mais ne signifiait plus rien en la circonstance. N’étais-je
pas seul, démuni, et entouré des siens ? Je m’apprêtais à dire que pour
moi elle n’était plus une esclave, quand, d’un froncement de sourcil, elle m’imposa
silence. Résigné à ne plus dire un seul mot, j’assistai alors, avec autant de
surprise que de délectation, à une fort étrange scène.
    J’étais entré avec Hiba et son oncle dans la
maison de ce dernier, et nous nous étions assis dans une pièce basse mais
allongée, sur un tapis de laine, autour duquel étaient venus se répartir une
vingtaine de personnages, les anciens de la tribu, leurs mines nullement
réjouies par les retrouvailles qu’ils étaient censés célébrer.
    Hiba prit la parole. Elle me décrivit comme un
important personnage de Fès, versé dans la Loi comme dans les lettres, raconta
en quelles circonstances elle

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