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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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m’avait été donnée par le seigneur d’Ouarzazat et
fit un récit imagé et émouvant de la tempête de neige qui avait causé ma ruine.
Avant de terminer par ces mots :
    « Plutôt que de me vendre à quelque marchand
de passage, cet homme a tenu à me ramener dans mon village. Je lui ai juré qu’il
ne le regretterait pas. »
    Avec une indicible effronterie, elle interpella l’un
des notables :
    « Toi, Abdallah, combien serais-tu prêt à
payer pour me racheter ?
    — Ta valeur est au-delà de mes moyens,
répondit-il, confus. Je peux toutefois y contribuer de dix dinars. »
    Elle promena son regard sur l’assistance,
cherchant sa future proie :
    « Et toi, Ahmed ? »
    Le dénommé Ahmed tança Abdallah avec dédain avant
de proclamer :
    « Trente dinars, pour laver l’honneur de la
tribu. »
    Et ainsi elle fit le tour de la salle, utilisant
judicieusement les jalousies et les querelles de familles ou de clans, de
manière à obtenir, chaque fois, une contribution plus importante. Dans mon
esprit, les chiffres s’additionnaient. Mes deux misérables dinars devinrent
douze, quarante-deux, quatre-vingt-douze… Le dernier à être sollicité fut l’oncle
de Hiba, qui, en tant que chef de la tribu, se devait de justifier son rang en
s’élevant plus haut que le plus généreux de ses administrés.
    « Deux cents dinars ! » lança-t-il
fièrement à la cantonade.
    Je n’en croyais pas mes oreilles, mais le soir,
tandis que j’étais étendu dans la chambre où le chef m’avait invité à passer la
nuit, Hiba vint me voir avec la somme entière, plus de mille huit cents dinars.
    « Par le Dieu qui t’a faite si belle, Hiba,
éclaire ma lanterne ! Quel est donc ce jeu ? Comment se fait-il que
les hommes de ce village aient tant d’argent ? Et surtout, pourquoi me le
donnent-ils ?
    — Pour me racheter !
    — Tu sais bien qu’ils pourraient obtenir ta
liberté sans verser la plus petite pièce de billon.
    — Pour se racheter aussi. »
    Comme je continuais à manifester la plus totale
incompréhension, elle consentit enfin à m’expliquer :
    « Pendant des générations, ma tribu
nomadisait à l’ouest du Sahara, jusqu’au moment où mon grand-père, appâté par
le gain, se mit à cultiver l’indigo et à en faire le commerce. Ce village gagne
ainsi bien plus d’argent qu’il n’a besoin de dépenser, et dans le sol de chaque
petite cabane il y a plus d’or enfoui que dans la plus belle demeure de Fès.
Mais, en choisissant la vie sédentaire, les miens ont perdu toute vertu
guerrière. Un jour, j’étais à peine nubile… »
    Elle s’assit à côté de moi, la tête en arrière,
avant de poursuivre :
    « Nous étions partis nombreux, jeunes et
vieux, hommes et femmes, en pèlerinage sur la tombe d’un wali, à une
journée de marche d’ici. Soudain, des cavaliers appartenant à la garde du
seigneur d’Ouarzazat fondirent sur nous. Ils étaient quatre, alors que nous
étions une bonne cinquantaine, dont plus de vingt hommes munis de leurs armes.
Mais aucun de mes compagnons ne songea à s’en servir. Ils s’enfuirent tous sans
exception, laissant à chacun des quatre cavaliers la possibilité de capturer la
fille de son choix. Au cours de la curieuse cérémonie à laquelle tu viens d’assister,
les anciens de la tribu n’ont rien fait d’autre que de payer leur dette, que
réparer leur indignité et celle de leurs fils. »
    Elle posa la tête sur mon épaule :
    « Cet argent, tu peux le prendre sans honte
et sans remords. Aucun autre homme ne le mérite autant que mon maître
adoré. »
    En prononçant ces derniers mots, elle avait
approché ses lèvres des miennes. Si mon cœur battait fort, mes yeux louchaient
avec inquiétude vers la fine tenture qui nous séparait de la pièce voisine où
se trouvait son oncle.
    Nullement embarrassée, Hiba dégrafa sa robe ;
offrant son corps d’ébène sculptée à mon regard et à mes caresses, elle me
chuchota :
    « Jusqu’ici, tu m’avais prise esclave.
Aujourd’hui, prends-moi libre ! Une dernière fois. »
     
    *
     
    En quittant Hiba, je n’avais qu’une hâte, celle de
retrouver à Tombouctou son souvenir, peut-être même quelque trace d’elle dans
cette chambre qui avait vu notre premier baiser. Le bâtiment était toujours là.
Quoiqu’il fût la propriété du seigneur de la ville qui le réservait aux
visiteurs de marque, un dinar m’en ouvrit la porte. Si bien que le soir de

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