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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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en train de se passer, Kansoh avait eu une
attaque d’hémiplégie. Tombé de son cheval, il était mort sur le coup. Dans la
confusion, son cadavre n’avait même pas été retrouvé.
    Les habitants du Caire étaient atterrés, d’autant
que d’autres rumeurs se succédèrent bientôt sur l’avance des Ottomans, qui
suivaient en sens inverse la route de l’armée égyptienne : ainsi Alep
était-elle tombée entre leurs mains, puis Hama. À Khan el-Khalili, on pilla
quelques magasins appartenant à des Turcs d’Asie Mineure et à des Maghrébins,
mais l’ordre fut énergiquement rétabli par Tumanbay qui, pour atténuer les
effets de ces nouvelles désastreuses, annonça l’abolition de toutes les taxes
et réduisit le prix des produits de première nécessité.
    Bien que le secrétaire d’État tînt la situation en
main, il attendit un mois avant de se proclamer sultan. Ce jour-là, Damas
venait de tomber à son tour aux mains de Sélim ; Gaza devait bientôt la
suivre. À court d’effectifs, Tumanbay ordonna la création de milices populaires
pour la défense de la capitale ; il fit vider les prisons et annonça que
tous les crimes, même les homicides, seraient pardonnés à ceux qui s’engageraient.
Quand, aux derniers jours de l’année, l’armée ottomane s’approcha du Caire, le
sultan mamelouk rassembla ses troupes dans le camp de Raidanieh, à l’est de la
ville ; il y adjoignit plusieurs éléphants ainsi que des canons
nouvellement fondus ; il fit creuser une tranchée longue et profonde dans
l’espoir de soutenir un long siège.
    Tel n’était pourtant pas le dessein de l’Ottoman.
Après avoir laissé à son armée deux jours pour se reposer de la longue
traversée du Sinaï, Sélim ordonna un assaut général, avec une telle profusion
de canons et un avantage numérique si écrasant que l’armée égyptienne se
débanda en quelques heures.
    Et c’est ainsi que, le tout dernier jour de l’année,
le Grand Turc fit son entrée solennelle au Caire, précédé de crieurs qui
promettaient la vie sauve aux habitants, les appelant à retourner dès le
lendemain à leurs occupations. C’était un vendredi, et le calife, capturé en
Syrie et ramené dans la suite du conquérant, fit, ce jour-là, dire le sermon,
dans toutes les mosquées de la capitale, au nom du « sultan fils de
sultan, souverain des deux continents et des deux mers, destructeur des deux
armées, maître des deux Iraks, serviteur des sanctuaires sacrés, le roi
victorieux Sélim shah ».
    Nour avait les yeux en sang. Elle était si
affectée par le triomphe du Grand Turc que je craignis pour la vie de l’enfant
qu’elle portait. Comme elle était à quelques jours de son terme, je dus lui
faire jurer de rester immobile sur son lit. Moi-même, je me consolais en me
promettant de quitter ce pays dès qu’elle serait rétablie. Dans ma rue, tous
les notables avaient caché dans leurs caveaux de famille leurs objets précieux
et leurs draps par crainte du pillage.
    Ce jour-là, pourtant, mon estafier et son âne se
présentèrent devant ma porte, ainsi qu’à l’accoutumée, pour m’emmener en ville.
Le garçon me rapporta, hilare, qu’en venant il avait trébuché sur la tête
coupée d’un officier mamelouk. Comme je ne riais nullement, il se permit d’émettre
l’idée que je prenais les choses trop au sérieux. Ce qui lui valut une gifle du
revers de la main.
    « Ainsi, grondai-je paternellement, ta ville
vient d’être occupée, ton pays est envahi, ses dirigeants sont tous massacrés
ou en fuite, d’autres les remplacent, qui viennent du bout de la terre, et tu
me reproches de prendre la chose au sérieux ? »
    Pour toute réponse, il n’eut qu’un haussement d’épaules
et cette phrase de résignation séculaire : « Quiconque prend ma mère
devient mon beau-père. » Puis il se remit à rire.
    Un homme, toutefois, n’était nullement résigné. C’était
Tumanbay. Il s’apprêtait à écrire les pages les plus héroïques de l’histoire du
Caire.

L’ANNÉE DE TUMANBAY

923 de l’hégire (24 janvier
1517 – 12 janvier 1518)
     
    Maître du Caire, le Grand Turc paradait, comme s’il
tenait à balayer de son ombre indélébile chaque lieu sacré, chaque quartier,
chaque porte, chaque regard terrifié. Devant lui, les hérauts ne se lassaient
pas de clamer que la population n’avait plus rien à craindre pour sa vie ni
pour ses biens, alors qu’au même moment massacres et

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