Léon l'Africain
sur le mur. Il sourit, en se grattant
ostensiblement la tête. Il avait de bonnes raisons d’en être intrigué : un
Maghrébin, habillé à l’égyptienne, marié à une Circassienne, veuve d’un émir
ottoman, et qui ornait sa maison à la manière d’un chrétien ! Je m’apprêtais
à lui raconter comment cette maison m’était échue, mais il m’interrompit :
« La vue de ces objets ne m’offusque pas. Il
est vrai que je suis musulman par la grâce de Dieu, mais je suis né chrétien et
baptisé, comme le sultan, comme tous les mamelouks. »
Ces mots dits, il sauta sur ses pieds et prit
congé, tout en renouvelant ses remerciements.
Assise dans un coin sombre de la pièce, Nour n’avait
pas participé à la conversation. Mais elle s’en montra satisfaite :
« Ne serait-ce que pour cette rencontre, je
ne regrette pas d’être venue d’aussi loin. »
Assez vite, les événements semblèrent lui donner
raison. On apprit en effet que le sultan avait fini par se décider à partir. On
vit son bataillon sortir de l’hippodrome, traverser la place Rumaila, avant de
passer par la montée des Bœufs et la rue Saliba, où je m’étais rendu ce jour-là
en prévision du spectacle. Lorsque le sultan s’avança sous les ovations, à
quelques pas de moi, je remarquai qu’au sommet de son parasol l’oiseau d’or
ajouré, insigne des mamelouks, avait été remplacé par un croissant d’or ;
on murmurait autour de moi que le changement avait été ordonné à la suite d’une
lettre reçue de l’Ottoman et qui mettait en doute l’ardeur religieuse de
Kansoh.
En tête de l’interminable cortège sultanien s’avançaient
quinze files de chameaux harnachés de pompons brochés d’or, quinze autres
harnachés de pompons de velours multicolore ; la cavalerie venait ensuite,
sa marche ouverte par cent destriers recouverts de caparaçons en acier incrusté
d’or. Plus loin, on pouvait voir des palanquins sur des mulets munis de
couvertures de soie jaune, destinés au transport de la famille royale.
La veille, Tumanbay avait été nommé lieutenant
général d’Égypte, avec pleins pouvoirs ; mais le bruit courait que le
sultan avait emporté avec lui tout l’or du Trésor, plusieurs millions de
dinars, ainsi que les objets précieux des magasins royaux.
J’avais demandé à Nour de m’accompagner pour
assister à l’événement pour lequel elle avait œuvré. Elle m’avait prié de
partir seul, affirmant qu’elle ne se sentait pas en forme. Je crus qu’elle
voulait éviter de trop se montrer en public ; je ne tardai pas à découvrir
qu’elle était enceinte. Je n’osais trop m’en réjouir, car si, à l’approche de
la trentaine, je désirais ardemment un fils de mon sang, je n’ignorais pas que
l’état de Nour m’interdisait désormais de la quitter, et même de fuir Le Caire
avec elle, ce que la sagesse me commandait de faire.
Trois mois passèrent, au cours desquels des
nouvelles régulières nous parvenaient sur la progression du souverain :
Gaza, Tibériade, puis Damas, où un incident fut signalé. Le gérant de l’Hôtel
de la Monnaie, un juif du nom de Sadaka, avait, selon la coutume, jeté des
pièces d’argent neuves aux pieds du sultan lors de son entrée triomphale dans
la ville. Les gardes de Kansoh s’étaient alors précipités pour ramasser les
pièces, si bien que le souverain, fortement bousculé, avait failli tomber de
son cheval.
On sut qu’après Damas le sultan s’était rendu à
Hama, à Alep. Puis ce fut le silence. Pendant plus de trois semaines. Un
silence qui, au début, ne fut pas troublé par la moindre rumeur. C’est
seulement le samedi, seizième jour de chaabane, le 14 septembre
1517, qu’un messager arriva à la citadelle, haletant et couvert de
poussière : une bataille avait eu lieu à Marj Dabek, non loin d’Alep. Le
sultan y participait, coiffé de sa petite toque, vêtu de son manteau blanc,
portant sa hache sur l’épaule, avec autour de lui le calife, les cadis et
quarante porteurs de Coran. Au début, l’armée d’Égypte avait eu le dessus, prenant
à l’ennemi sept drapeaux et de grosses pièces d’artillerie montées sur chariot.
Mais le sultan avait été trahi, notamment par Khairbak, gouverneur d’Alep, qui
était de mèche avec les Ottomans. Alors qu’il commandait l’aile gauche, il
avait tourné bride, ce qui avait aussitôt propagé le découragement dans l’armée
entière. Et, constatant ce qui était
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