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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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n’avais pas connu d’autre toit
que la voûte étoilée.
    À peine étais-je installé que les plus grosses
fortunes de la ville commencèrent à défiler dans ma chambre. Un riche
commerçant vint me proposer de troquer mes quatre cents sabres contre huit
cents burnous. J’allais accepter, lorsqu’un autre marchand, bondissant vers mon
oreille, me proposa, à mi-voix, mille burnous. N’ayant aucune expérience, il me
fallut du temps pour comprendre la raison de tant de sollicitude : à l’approche
de l’armée ennemie, les habitants ne songeaient plus qu’à se débarrasser de la
totalité de leur production, afin de la faire échapper à l’inévitable pillage
qui suivrait la prise de la ville. De plus, les armes que je transportais ne
pouvaient arriver à un meilleur moment, toute la population se mobilisant pour
tenir tête à l’attaquant. À moi donc de dicter mes conditions : j’exigeai
d’obtenir, en échange de mes sabres, mille huit cents burnous, pas un de
moins ; après quelques palabres, l’un des commerçants, un juif, finit par
accepter. Ainsi, le jour même de mon arrivée, avais-je déjà en ma possession
toute la marchandise demandée par messire de Marino, sans avoir touché à l’argent
qu’il m’avait confié.
    N’ayant plus rien à vendre, je m’apprêtai à partir
dès le lendemain. Mais, comme une amante au milieu de la nuit, la fortune avait
décidé de ne pas me lâcher. Voilà que de nouveau les gros commerçants de Tefza
venaient me trouver, les uns me proposant de l’indigo ou du musc, les autres
des esclaves, du cuir ou du cordouan, chaque produit bradé au dixième de son
prix. Ce qui m’obligea à me procurer quarante mules pour transporter le tout.
Les chiffres sautillaient dans ma tête ; dès ma première affaire, j’étais
riche.
    J’en étais à ma troisième journée de négoce
lorsque des crieurs annoncèrent l’arrivée de l’armée de Fès. Elle comptait deux
mille cavaliers légers, cinq cents arbalétriers, deux cents espingardiers à
cheval. En les voyant arriver, les habitants apeurés décidèrent de négocier.
Et, comme j’étais le seul Fassi présent dans la ville, on me supplia de jouer
les intermédiaires, ce qui, je l’avoue, me parut fort amusant. Dès la première
entrevue, l’officier qui commandait l’armée royale se prit d’amitié pour moi. C’était
un homme instruit, raffiné, chargé pourtant d’exécuter la plus horrible des
missions : livrer la ville et ses notables à la vengeance du clan adverse.
Je tentai de l’en dissuader.
    « Ces bannis sont des traîtres. Aujourd’hui,
ils ont livré la ville au sultan, demain ils la livreront à ses ennemis. Mieux
vaut traiter avec des hommes vaillants, qui connaissent le prix du dévouement,
du sacrifice et de la fidélité. »
    Je pouvais lire dans ses yeux qu’il se rendait à
mes raisons, mais ses ordres étaient clairs : s’emparer de la ville,
châtier ceux qui portaient les armes contre le souverain et donner le
gouvernement au chef du clan banni, avec une garnison pour l’assister. Il y
avait cependant un argument qu’il ne pouvait écarter :
    « Combien le sultan espère-t-il obtenir en
échange de sa protection ?
    — Le clan banni a promis vingt mille dinars
par an. »
    Un petit calcul se fit dans ma tête. « Le
conseil de la ville groupe trente notables, auxquels il faut ajouter douze
riches commerçants juifs. Si chacun d’eux payait deux mille dinars, cela ferait
quatre-vingt-quatre mille… »
    L’officier m’interrompit :
    « Le revenu annuel de tout le royaume n’atteint
pas trois cent mille dinars. Comment veux-tu qu’une petite ville comme celle-ci
puisse rassembler une telle somme ?
    — Il y a dans ce pays des richesses
insoupçonnées, mais les gens les cachent et ne cherchent pas à les faire
fructifier, ils ont peur d’être dépouillés par les gouvernants. Pourquoi
crois-tu que les juifs de ce pays sont accusés d’avarice ? Parce que la
moindre dépense, la moindre ostentation mettrait leur fortune et leur vie en
danger. C’est pour la même raison que nombre de nos villes se meurent et que
notre royaume s’appauvrit. »
    En tant que représentant du souverain, mon
interlocuteur ne pouvait me laisser parler ainsi en sa présence. Il me demanda
d’en venir au fait :
    « Si tu promets aux notables de Tefza la vie
sauve et le respect des coutumes de leur cité, je les persuaderai de payer la
somme. »
    Ayant obtenu la

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