L'épopée des Gaulois
accueillis par le roi Arganthonios que des récits fabuleux décrivaient comme le plus heureux, le plus riche et le plus vieux des hommes, que les dieux avaient décidé de faire vivre éternellement. Arganthonios avait reçu les Phocéens avec chaleur et générosité, mais ne leur avait pas permis de s’installer sur ses domaines. Ils étaient donc repartis sur la mer et, toujours en longeant les côtes, ils avaient jeté l’ancre dans un port bien abrité au fond d’une rade large et spacieuse, voisine d’une vallée fertile et proche d’un grand fleuve qui se déversait dans la mer par d’innombrables bras. Ce pays leur parut idéal, car le climat y était doux et la mer poissonneuse. De plus, les habitants y étaient actifs et accueillants envers les étrangers.
Cette région appartenait au peuple gaulois des Ségobriges qui s’était allié à celui des Salyens. Ces deux peuples obéissaient à un roi qui portait le nom de Nann. Or, le jour même où les Phocéens débarquèrent dans le port, le roi Nann avait organisé un grand festin à l’occasion du mariage de sa fille, la belle Gyptis. Car telle était la coutume chez ces peuples lorsqu’une jeune fille avait de nombreux prétendants – en l’occurrence, en raison de sa beauté et de la richesse du roi, Gyptis en avait beaucoup –, ses parents organisaient un grand repas auquel ils conviaient non seulement les prétendants, mais tous les chefs et tous les hommes remarquables du pays. L’usage était qu’à la fin du festin, la jeune fille choisissait elle-même, en toute liberté, celui qui deviendrait son époux.
Le roi Nann, quand il apprit que des étrangers venaient d’aborder sur ses terres, envoya des messagers pour les inviter au festin. Les Phocéens acceptèrent de bon cœur et se mêlèrent ainsi aux gens du pays, fraternisant avec eux et échangeant des nouvelles de leurs peuples respectifs. Ils y mangèrent abondamment les mets les plus divers et étanchèrent leur soif avec des breuvages délicats et savoureux.
Au moment où le repas allait prendre fin, Gyptis, la fille du roi, parut au milieu des invités, tenant à la main une coupe remplie d’eau pure. Son père l’invita alors solennellement à choisir son époux parmi l’assemblée. La jeune fille fit plusieurs fois le tour des tables et, enfin, comme inspirée par les dieux, elle s’arrêta devant Protis et lui tendit immédiatement la coupe. Le Phocéen la vida entièrement sous les applaudissements des convives.
Le roi Nann fut bien étonné de voir sa fille préférer un étranger qu’elle ne connaissait même pas à l’un des valeureux chefs qui le servaient fidèlement, mais la coutume ne permettait aucune dérogation. Il ne pouvait qu’accepter le Phocéen pour gendre et se persuada que quelque divinité avait dû guider le geste de Gyptis parce qu’elle avait vu que cette union serait profitable non seulement pour les époux eux-mêmes mais pour l’ensemble des habitants de son pays. Et l’on maria incontinent le Grec et la Gauloise. C’est ainsi que fut fondée par Protis et Gyptis la ville de Massalia, au fond d’une rade qui offrait toute sécurité aux navires au mouillage et qui devint un riche centre de commerce entre l’Orient et le reste de la Gaule. On y implanta d’ailleurs le culte de la déesse Artémis et ce fut Aristarché qui en fut la grande prêtresse 48 .
Au reste, les Gaulois des environs, dont la plupart étaient venus d’ailleurs, se montrèrent très favorables au groupe de Phocéens qui avaient choisi de vivre dans leur pays, et ils les aidèrent même à fortifier leur ville afin de la protéger contre tout danger d’invasion 49 . Tant que vécut le roi Nann, les rapports entre les deux nations furent cordiaux et fructueux. Les jours de fêtes helléniques, les portes de Massalia s’ouvraient et les jeunes Gaulois entraient dans la ville en hôtes fidèles. Des chariots couverts de feuillage descendaient des montagnes et parcouraient les rues sous les acclamations des Phocéens, et tous se réjouissaient à l’unisson. Comme au festin du mariage de Gyptis, les Gaulois apprirent à connaître les charmes, très nouveaux pour eux, du vin et de son ivresse. Et l’exemple de la fille du roi fut suivi : une autre femme de la famille du roi Nann devint la concubine d’un jeune Phocéen séduit par sa beauté, et les habitants de Massalia ne répugnaient pas à s’allier avec des femmes indigènes, d’autant plus qu’ils
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