Les 186 marches
harangué, le 14 juillet dernier, nos camarades. L’organisa ion que vous voulez mettre sur pied prolongera donc l’action que nous avons essayé de mener jusqu’ici. »
– Le docteur Fichez accepte, lui aussi, ma proposition. Comme Savourey, il est au camp depuis un an ; dans la Résistance, il appartenait au réseau « Centurie ». Les S. S., connaissant sa qualité de radiologue, l’ont affecté à l’infirmerie située entre la première enceinte et la seconde, où sont soignés les soldats de la garnison. Nanti de ce poste, dont il aurait pu se réserver tous les avantages, Fichez en a fait, au prix de sérieux risques, bénéficier tous les Français ; pour eux, il détourne notamment, presque chaque jour, des médicaments de l’infirmerie S. S. Le contact qu’il a quotidiennement avec nos gardiens peut être fort utile à la Résistance du camp. Quelques jours plus tard, Ricol me fait connaître celui qui, au sein de notre groupe de direction, représentera l’organisation communiste. Il s’appelle Salado et se dit employé de librairie. Telle était son identité lors de son arrestation ; il a été pris dans la Nièvre où il était un des responsables des F. T. P. F. Jusqu’à notre libération, j’ignorerai qu’il est, en réalité, professeur et s’appelle Jean Guilon. Ainsi se trouve constitué, vers la mi-juin 1944, notre équipe de direction de la Résistance française au camp. Le plus difficile, le plus dangereux reste à faire : bâtir l’organisation. Plus d’un soir, vers ce moment-là, j’eus du mal à m’endormir, tenaillé que j’étais par cette idée : si j’avais une chance de sortir d’ici vivant, je viens vraisemblablement de la perdre.
– Comme Ricol me l’avait laissé entendre, les Français n’étaient pas les seuls à s’organiser, depuis quelques semaines. L’imminence de la défaite nazie, évidente pour tous, n’était pas étrangère à ce mouvement. Mais je pense que l’action de nos camarades arrivés de Compiègne en deux convois, fin mars et début avril, y contribua pour une bonne part. André Ullmann parlait parfaitement l’allemand ; quant à Arthur London (que nous n’appelions jamais que de son pseudo : Gérard), Tchèque d’origine, il possédait aussi bien le russe que l’anglais, l’espagnol, le français ou l’allemand. L’un et l’autre entrèrent en contact, peu après leur entrée au camp, avec les groupes communistes grangers.
– C’est certainement grâce à Gérard que le « collectif » tchèque se constitua, vers ce moment-là, en organisation clandestine. Au printemps de 1944, il en restait environ trois cent cinquante. On les sentait unis, fraternels, à quelques rares exceptions près.
Pas de mouchards ni d’invertis chez eux. Ils ne frayaient pas avec les verts dont ils étaient mal vus. Ils avaient cependant acquis, dans les kommandos, de bonnes positions : ouvriers très qualifiés ou savants, médecins chimistes. Un des leurs, Pani, était secrétaire général du camp (Lagerschreiber), à ce poste, il disposait d’un très large pouvoir. Comment les S. S. l’y avaient-ils admis ? Je me le suis souvent demandé. Il était, vis-à-vis d’eux, très digne ; militant syndicaliste dans son pays, il devait entrer l’un des premiers dans l’organisation de Résistance tchèque et rendre, à toute la Résistance du camp, d’immenses services. Ainsi, le groupe tchèque devait-il très vite constituer, en quelque sorte, l’armature de la Résistance internationale dans le camp. L’organisation de celle-ci rencontrait, cependant, de sérieuses difficultés. Les projets que nous apportions avec nous, en 1944, déconcertaient beaucoup de très vieux internés qui avaient connu les années les plus sanglantes de Mauthausen et savaient mieux que nous les dangers du camp. Gérard, ancien combattant des Brigades internationales en Espagne, avait « contacté » deux responsables du groupe espagnol : Montero et Razola. Ceux-ci se déclaraient en accord complet avec les sept points du programme de la Résistance. Mais chez les communistes allemands, les efforts conjugués de Gérard, d’Ullmann, de Rabaté, de Ricol, ne purent vaincre le refus opposé par Frank Dahlem ; celui-ci jouissait, parmi les internés communistes, d’une incontestable autorité ; on savait la clairvoyance politique dont il avait fait preuve après 1918 et aussi sa lutte héroïque contre le nazisme ; en déportation, son
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