Les 186 marches
n’avait cependant pas encore été signalée à notre service de renseignements central car, comme je l’ai déjà dit, Mauthausen était un des camps les moins connus.
– Il ne nous était malheureusement pas possible de faire quelque chose pour le moment en faveur de ces « oubliés », mais nous nous proposâmes de revenir à la première occasion.
– Nous continuâmes notre route jusqu’à Dachau, en passant par Salzbourg.
Quelques jours plus tard, Hans Arnoldson était de retour à Mauthausen. Ziereis, « malgré tous ses efforts », n’avait pu retrouver les onze Norvégiens « oubliés » ; en revanche :
– La joie des seize femmes quand elles nous virent est indescriptible. Elles avaient perdu tout espoir et, avant de nous être remises, elles ignoraient encore ce qui les attendait. A la grande fureur de ces messieurs, je les saluai en suédois. Ils m’intimèrent l’ordre de parler allemand/ Ils n’admettaient pas que je les appelasse « mesdames », ce qui, à leur idée, était insultant envers l’Allemagne. Ils eurent le cynisme d’ajouter que si autrefois elles avaient été des dames, il était impossible qu’elles le redevinssent jamais après quelques mois passés dans un camp de concentration. Nous ne continuâmes pas moins à appeler nos prisonnières « mesdames » et nous nous amusions chaque fois des mines indignées de ces messieurs de la Gestapo.
– Au crépuscule, comme nous allions quitter le camp, une colonne d’évacuation arriva d’un kommando extérieur et je retournai auprès du commandant pour m’informer si elle ne comprendrait pas quelques-uns de nos Norvégiens manquants. Ce n’était malheureusement pas le cas.
– Cette colonne d’évacuation est ce que j’ai vu de plus horrifiant. Près d’un millier de malheureux, vacillant de fatigue, se traînaient péniblement le long de la côte qui mène au fort, pieds nus, loqueteux, sales,, affamés, exténués par des semaines de marche forcée. Ceux qui avaient encore quelques forces soutenaient ou portaient leurs camarades les plus faibles. Le long de la route, gisaient côte à côte ceux qui étaient tombés. La plupart avaient passé les bornes de la souffrance humaine. Certains suivaient avec des yeux brûlants notre autocar tandis que nous descendions lentement la côte, silencieux et navrés jusqu’au plus profond de l’âme de ne pouvoir les secourir. Des gardes marchaient sur les côtés de la colonne, cherchant à force de coups et de menaces, à faire avancer ceux qui pouvaient encore bouger. Notre présence semblait ne les gêner en rien. Nous avons pu voir un des gardes frapper un homme dont les mains étaient liées derrière le dos.
– -Ce fut la dernière image que j’emportai de Mauthausen et de son horreur obsédante, comme un paraphe cruel au bas de l’histoire de ce camp de la terreur sur les riants rivages de la Donau.
LA GRANDE ÉVASION DU BLOCK 20
C’EST sûrement facile ! Il suffit d’aller rôder quelques secondes dans le paysage de la nouvelle infirmerie et puis, sans se presser – comme quelqu’un qui vient de terminer sa corvée dans le secteur du crématoire – de traverser la dernière large esplanade du camp en prenant la direction des anciens blocks de quarantaine.
– Ne pas se presser ! Tu ne dois surtout pas te presser ni au dernier moment changer de direction. Marcher calmement ; bien droit. Détendu. En regardant devant toi. Pour ce premier voyage tu n’as qu’à essayer l’allée qui sépare le block 11 du 16.
C’est sûrement facile, mais dangereux.
– Le principal est de ne pas montrer que tu as peur. Tout le monde doit croire que tu es chargé d’une mission. Mieux ! il te faudra porter sous le bras un madrier ou une planche. Ainsi tu seras pris facilement pour un maçon ou quelque « stuck » du kommando d’entretien.
Vania Serjuk tire sur les pans de sa trop longue vareuse, remonte son pantalon, bombe le torse et en souriant, se dirige vers les échafaudages en bois du Revier en construction. Vania Serjuk n’a que quinze ans. Vif, alerte, sec, il est curieux, bavard, entêté : puisque personne ne sait exactement ce qui se passe dans l’enceinte du block 20, et que ceux qui, par leurs fonctions, leurs contacts ou leurs amitiés connaissent obligatoirement le « pourquoi » et le « comment » du block interdit, se gardent bien d’en parler, lui Vania Serjuk ira voir et racontera à ses amis. Mais par qui
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