Les 186 marches
début de décembre 1944, les décrets dits « Kugel » m’ont été montrés au département politique du camp de concentration de Mauthausen. Il y avait deux décrets, dont chacun portait la signature de Kaltenbrunner. J’ai vu moi-même ces deux signatures. L’un de ces décrets ordonnait que les travailleurs civils étrangers qui s’étaient échappés à plusieurs reprises des camps de travail fussent, au cas où ils seraient repris, envoyés au camp de concentration de Mauthausen en application de l’action « Kugel ».
– Le deuxième décret stipulait que la même procédure devait être adoptée à l’égard des officiers et sous-officiers de guerre, à l’exception des Britanniques et des Américains quand ils avaient fait plusieurs tentatives d’évasion des camps de prisonniers de guerre. Ces prisonniers de guerre devaient également être conduits au camp de concentration de Mauthausen.
– A la suite de ces décrets « Kugel » et des instructions orales données par Kaltenbrunner, en complément de cet ordre, mille trois cents travailleurs civils étrangers, officiers et sous-officiers furent amenés au camp de concentration de Mauthausen. Ils furent logés au block n° 20 et, suivant les ordres, si mal nourris qu’ils ne pouvaient que mourir de faim. Huit cents d’entre eux moururent de faim et de maladie. La mauvaise nourriture et le manque de soins médicaux avaient pour origine les ordres verbaux donnés personnellement par Kaltenbrunner. »
Kaltenbrunner, évidemment, ne pouvait que réfuter la déposition de Niedermayer, l’homme qui connaissait le mieux F « Aktion Kugel » à Mauthausen.
– Je ne connaissais pas ce décret… J’appris en 1944-1945 par l’agent de liaison entre Himmler et Hitler, Fegelein, lorsque je fis mon compte rendu au quartier général qui était, je crois, déjà à Berlin, l’existence de ce décret « Kugel » dont la conception m’était tout à fait étrangère. Je lui demandai ce que c’était. Il me répondit que c’était un ordre du Führer et qu’il n’en savait pas plus. Il avait seulement entendu dire qu’il concernait un type spécial de prisonniers de guerre. Cette réponse ne me satisfit pas et, le jour même, j’envoyai un message télétypé à Himmler, lui demandant d’examiner un ordre du Führer appelé « Kugel ». A cette époque, je ne savais même pas que la police d’État s’occupait elle-même de ce décret. Quelques jours plus tard, Müller vint me voir de la part de Himmler et me donna à lire un décret qui, cependant, ne provenait pas de Hitler mais de Himmler, et où celui-ci déclarait qu’il transmettait un ordre verbal de Hitler.
– A ce propos, je répondis à Himmler que ce décret du Führer m’indiquait, une fois de plus, que les principes les plus élémentaires de la Convention de Genève étaient violés, quoique ceci se passât à une époque bien antérieure à mon entrée en fonctions et que d’autres violations eussent suivi celle-là. Je lui demandai d’intervenir auprès du Führer et je joignais à cette lettre un projet de lettre de Himmler à Hitler, dans laquelle Himmler demandait au Führer : a) d’annuler ce décret ; b) d’enlever à tout prix ce fardeau de la conscience des membres des services subalternes… Bien que le décret « Kugel » ne fût pas abrogé, pas plus qu’un certain nombre d’ordres également impitoyables, le résultat fut positif en ce sens qu’en février 1945, Hitler me permit pour la première fois de prendre contact avec la Croix-Rouge internationale, chose qui avait été fortement interdite auparavant.
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« Petit renard » n’était pas le premier « déporté ordinaire » transformé en « Kugel ». Mauthausen n’échappait pas à la règle générale de tous les camps qui voulait que chaque nationalité ait son contingent de délateurs. Les Soviétiques « dénoncés » étaient les seuls, en revanche, à ne pas bénéficier d’une enquête policière… Ils remplissaient les vides du block 20.
Le capitaine aviateur Mordoucev, abattu par un chasseur allemand à une centaine de kilomètres de ses lignes, avait été enregistré à Mauthausen comme cultivateur, sous un faux nom.
– Il y avait un millier de prisonniers dans le block de Mordoucev. C’était une foule disparate, composée de soldats italiens désarmés, de Polonais, de Hongrois, de Hollandais, mais peu de Russes. Mordoucev s’attacha à
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