Les amants de Brignais
sais !
– Tourne-toi, Mathilde ! hurla le routier. Le marié veut voir ces reliques !
La captive obéit tandis que Bagerant révélait :
– Ce sont les attributs de la virilité !… Approche, femme… Baronnesse de mes coulles !… Approche !… Tu peux les regarder aussi : je suis sûr que tu n’en as jamais vu autant à la fois.
Essayant vainement de dissimuler son sexe, la femme appuyait une main dessus, portant ainsi le plateau assez bas. Son regard éploré alla d’Oriabel, la tête penchée, confuse, et les yeux soudain clos, à ce qu’elle tenait presque comme une offrande : des bourses et verges d’hommes soigneusement disposées comme un nets prêt au service et baignant dans une sauce purulente.
– Ouvre tes yeux, la mariée. Vois ! Contem ple !… Ça devrait t’énamourer ! tonitrua Thillebort debout, un pied sur la table, faisant ainsi pencher son écuelle dont le jus – sang de mouton et sauce de lentilles – débordait.
Oriabel luttait contre la pâmoison. Ses joues s’étaient teintées. Tiercelet lui tapota la main, ce qui déclencha des rires. Et tandis que Tristan découvrait du mépris pour son épouse dans le regard de la baronne humiliée, Thillebort précisait :
– Y en a douze, autant que de danseuses !… Hé Hé ! C’est elles qui ont fait cette besogne-là… Elles sont bien dignes de nous, ces femelles, et seront congratulées plus tard, comme il sied.
Les filles follieuses battirent des mains, et si Tristan baissa la tête, ce fut pour dérober ses yeux à ceux de la captive : il y avait découvert plus d’intérêt que de haine.
Il avait tout pressenti. L’escarcelle teintée de vermillon avait excité sa méfiance, une méfiance qui n’avait cessé de croître tandis que les appas des jongleuses, entraperçus, tantôt chair, tantôt toison, conféraient à cette liesse oppressive un aspect infernal dont ils étaient, Tiercelet, Oriabel et lui, les seuls à redouter un dénouement affreux. Eh bien, c’était fait : les danseuses lascives et luxurieuses n’étaient que d’infâmes bourrelles, et leur morisque un prélude à cette solennité sanguinaire. Thillebort en était l’ordonnateur, elles les exécutrices. Il suffisait d’entendre leurs rires pour comprendre qu’elles avaient obtempéré aux sommations du Borgne avec une volupté profonde, douze fois renouvelée. Tête basse, toujours, ainsi que son épouse, et quelque endurci qu’il se fut imaginé aux spectacles du mal, comment eût-il pu résister aux images qui s’imposaient à son esprit ? Il les voyait, ces carognes, avilir les compères qu’on leur avait livrés, tous hantés par cette horreur qu’ils avaient, en riant, exercée sur tant d’autres. En les émasculant, elles avaient épanché leur haine contre ceux qui les avaient possédées, qui les possédaient et les posséderaient. Leur bestialité n’était que le reflet de celle de leurs tyrans.
– J’avais jamais vu ça…
Tiercelet écœuré ! Levant enfin le front, Tristan vit que Jean Doublet l’était aussi. Une des ribaudes, prompte, l’enlaça : il la repoussa violemment et, comme elle insistait, la menaça de son poignard. Elle alla se faire mignoter par la fille à queue-de-cheval qui, l’étreignant d’un seul bras, farfouilla son corps sous les voiles avec une voracité de chienne affamée. Cette tendresse indécente incommoda Doublet. Il se leva et s’éloigna, les traits figés, le regard déjà comme sa personne – absent.
– Il suffit ! s’écria Thillebort… Vous, les gaupes, assez de vous fricasser le museau et de vous tâtonner le Mont-Rond… Je veux dire le Brignais… ou la motte !… Qu’as-tu à me considérer ainsi, Castelmerde ? Tu plains ces douze gars ? C’étaient des faux frères !… Allons, Mathilde de mon cœur, fais le tour des tables, que nos compères voient ça !… Et ton fourrage s’ils en ont envie !… Lève tes bras plus haut !
La captive entama une marche hésitante. Peu d’hommes regardaient, ce qui scandalisa le Borgne :
– Holà !… Nul d’entre vous ne reconnaît un… comment qu’on dit, Angilbert ?
– Un phallus…
– Nul n’en reconnaît un ?…, Il est vrai que vous n’êtes guère de Sodome ! Mais je suis sûr que même dans l’état où ils sont, si je posais la question à ces filles, elles mettraient un nom sur chacun de ces vits !… Il y avait deux juifs : Samuel et David ; ceux-là au moins doivent
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