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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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de son corps et nullement de son cœur, bien qu’elle portât souvent sa dextre sur son sein.
    – Je ne te comprends pas… Te fais-je horreur ?
    Elle avait dû s’attendre à tout : soit un élan de désir, soit un ravissement quasi sacré auquel elle eût mis savamment un terme, ou encore une pusillanimité de puceau qu’elle s’était fait fort de convertir en har diesse. La déception la rongeait. Elle allongea le bras vers le drageoir et le lui offrit. Il refusa d’y puiser.
    – Crains-tu que ces cannelas 24 ne soient empoisonnés ?… Et ces gâteaux dont tu parais mépriser les formes ?… Je les ai pétris moi-même.
    – On peut dire que vous pétrissez vite et bien.
    Il avait cru pouvoir lui arracher un rire ; elle eut un grognement de chienne fustigée, se leva sans précaution et sauta hors de son matelas de coussins. Sous la brume du vêtement qui la révélait toute, il distingua la raie d’une chaînette d’or dont elle avait ceint ses hanches et pensa qu’il fallait avoir l’esprit pervers pour se parer ainsi. Mais déjà elle était devant lui, la main levée pour une jouée 25 , une griffade. Elle renonça et le saisit par la taille. Il n’osa se dégager.
    – Aime-moi !… Aimons-nous ! Offrons-nous du délit 26  !
    Elle lui arrivait à l’épaule ; il recevait son souffle sur son cou ; un souffle d’une violence insoupçonnée, à moins que la résonance de la voûte en berceau ne fut particulièrement vive, et que le silence qui les entourait ne contribuât à le rendre ainsi. Il lui sembla que Perrette allait se presser contre lui pour provoquer son ardeur ; elle s’empourpra et se retint, humiliée par le regard qu’il posait sur elle et souffrit visiblement de devoir opposer la raison ou la honte aux véhémences de son corps.
    – Et si je t’aimais vraiment ?
    – S’il en était ainsi, vous ne m’eussiez pas verrouillé trois mois en votre pourrissoir ! Comment, après ce que j’y ai subi – faim, froid, angoisse – pourrais-je me trouver dans les dispositions que vous espériez en me faisant conduire devers vous ?
    Comme insidieusement, elle frottait son ventre au sien, la musique les renveloppa, aussi vive qu’un coup de vent, puis se craquela en miettes sonores qui semblèrent grêler, rebondir sur le tambourin comme un rire de malice ou de connivence. Prêt à céder à l’envoûtement d’un regard doux, implorant, et d’un corps si parfaitement lié au sien qu’il en sentait la toison, Tristan fut tout à coup désenivré par un cri d’homme effrayé :
    –  Non !… Non !… Pitié !
    Il songea aussitôt, simultanément, à Tiercelet et à Marguerite, Blanche et Jeanne de Bourgogne dont les excès amoureux avaient toujours été funestes à leurs amants. La plupart, disait-on, avaient été jetés en Seine à l’issue de leurs « joutes » avec ces trois succubes. Les frères d’Aunay, par qui le scandale était arrivé, avaient péri sur l’échafaud de Pontoise après avoir enduré la question. Et quelle question puisqu’elle avait pour exécuteur Nogaret, le plus pervers justicier du royaume. (1) 45
    Cet homme qui venait de refuser la mort et demandait pitié dans une geôle toute proche s’était peut-être récemment ablutionné dans la pièce attenante avant de s’allonger près de cette femme éperdue de lascivité.
    – Qui criait ainsi, noble dame ?
    Perrette eut un regard inondé d’innocence :
    – Croyez-vous que l’on ait crié ?
    Il la dévisagea du front au menton. Dessous, quoique dans une ombre légère, les chairs quelque peu plissées du cou lui déplurent. Jamais il n’y aurait entre eux, même un seul jour, ces échanges de ferveur et de volupté auxquels elle prétendait de tout son corps, de toutes ses lèvres offertes. Par le geste et par le verbe, les seuls boucliers dont il disposait, il devait s’arracher à ce nébuleux piège aux âmes figuré par ce gynécée.
    Il y eut un nouveau hurlement, ultime expression, sans doute, du désespoir et de l’horreur.
    – Et maintenant qu’en dites-vous ?
    – C’est quelque loudier (1) 46 qui en appelle un autre.
    Les paupières bistrées s’étaient plissées sur des prunelles dont l’azur venait de s’enténébrer. Le corps tiède et frémissant avait tressauté, comme cinglé d’un coup de verge.
    – Ah ! bon, dit Tristan.
    Il allait devoir ruser. Cette obscure prescience d’un malheur imminent, il l’avait éprouvée, déjà.

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