Les amants de Brignais
roi d’Angleterre, premier prétendant, et Jean de Normandie, futur Jean le Bon. Certes, pour s’attacher cet ambitieux, le roi lui avait donné sa fille mais… elle n’avait que huit ans. De plus, le trésor royal étant à sec, la dot de la fillette se faisait attendre… comme étaient attendues les châtellenies d’Asnières, Beaumont, Pontoise promises à Jeanne, mère du Mauvais, en échange du comté d’An goulême offert à Charles d’Espagne et que le Navarrais n’avait cessé d’espérer pour lui-même.
Informé des tractations de son gendre avec les Anglais, et plutôt que de sévir, Philippe VI avait doublé la puissance de cet hypocrite par le traité de Mantes (22 février 1354), ce qui n’empêcha pas le Mauvais de promettre à Edouard III de lui livrer le royaume de France à condition qu’il obtînt pour lui la Normandie, la Champagne et une partie du Languedoc. Continuant à intriguer, ménageant l’un et l’autre, il signa avec son beau-père un nouveau traité à Valognes (10 septembre 1355) et se vit recevoir la plus grande part des biens du défunt Charles d’Espagne. Après quoi, quand Jean de Normandie fut roi, il intrigua auprès de son fils, le dauphin Charles, qu’il réussit à dresser contre son père. Une partie des amis de Navarre, arrêtés en même temps que lui, à Rouen, au cours d’un repas auquel assistait le dauphin, furent décapités le mardi 5 avril 1356. Mais le Mauvais sauva sa tête et fut emprisonné (au Château-Gaillard selon Jean le Bel ; au Louvre selon les Grandes Chroniques ; au Louvre, puis au Châtelet, puis au Château-Gaillard, ensuite à Crèvecœur et Arleux, selon Secousse). Aussitôt, Philippe de Navarre défia le roi de France par des lettres datées de Cherbourg, le 28 mai 1356, alors que par l’intermédiaire de ses compères Jean de Morbecque et Jean Carbonnel, il avait négocié avec Edouard III dès le 12 mai.
Il est certain que bien avant le repas de Rouen, – mais où et quand ? – le dauphin fut victime d’un empoisonnement. Dans un des chapitres qu’il consacre à l’année 1380, marquée par la mort de Charles V, Froissart rapporte que lorsqu’il était encore duc de Normandie, il avait reçu, de Charles de Navarre, le venin. « Et fut si avant mené que tous les cheveux de la tête lui churent, et tous les ongles des pieds et des mains, et devint aussi sec qu’un bâton, et n’y trouvoit-on pas remède. » Il souffrait de violents maux de dents, ses mains se gonflaient : il se savait empoisonné et « en grand péril de mort » lorsqu’un maître médecin lui fut envoyé par son oncle, l’Empereur de Rome. Grâce à ses soins, ses cheveux repoussèrent, il recouvra une apparence de santé, mais une inguérissable humeur lui coulait par une fistule qu’il avait au bras et dont il fut avisé que, lorsqu’elle se cicatriserait, il n’aurait plus que quinze jours à vivre. Et ce fut ce qui advint.
Le Mauvais applaudit à la seconde chevauchée destructrice du Prince de Galles et, évidemment, au désastre français de Poitiers. Délivré de sa prison d’Arleux par Jean de Picquigny, le mercredi 8 novembre 1357, il devint un des alliés d’Etienne Marcel et des Jacques… qu’il trahit ensuite.
LA FRANCE RAVAGÉE
Divisée en trois camps (Navarrais, Anglais, Français), la Normandie souffrit de la présence des routiers avant que cette engeance ne grossît et ne se répandît sur tout le territoire du royaume de France. Il ne fallait pas moins de trois sauf-conduits pour se rendre de Coutances à Valognes, et les routes étaient si peu sûres que, par exemple, Colinet Bioville, bourgeois de Carentan, bien que porteur d’un sauf-conduit du roi de France pour se rendre à Paris rejoindre son beau-père, Pierre Caisnot, clerc-notaire du Régent, préféra, au lieu de prendre les grands chemins, s’embarquer sur une barge qui l’amena jusqu’à Dieppe où, de là, il gagna par voie d’eau la capitale.
On se cachait dans les bois, les grottes, les hautes herbes ; on creusait même des souterrains pour y vivre en sûreté. À Avranches, le connétable Richard Scholl et le receveur Guillaume de Tuttebery régnaient sévèrement ; ils avaient sous leurs ordres des Navarrais terrifiants, notamment le fameux Bascon de Mareuil qui s’était fait remarquer en s’emparant par escalade du château de Combom, en Limousin, et avait rançonné son propriétaire : 24 000 écus. Siméon Luce, dans son
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