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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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intraitable.
    – M’en veuillez pas si je vous préviens qu’il faudra m’obéir. Vous avez appris, en ces murs, que la vie n’est pas qu’un chemin de roses, de myrtes et de je ne sais quoi encore. Vous vous êtes endurci l’âme, et c’est bien.
    – Puisque tu le dis…
    – Vous êtes marié ?
    – Non.
    – Fiancé ?
    – Non.
    – Bon… Vaut mieux avoir le cœur vide et la tête pleine.
    Plutôt que de se trouver rejeté dans les visions mornes et inutiles qui l’opprimaient depuis Poitiers, Tristan se sentit poussé vers des personnes et des lieux invisibles, agréables à connaître, et qui semblaient depuis longtemps attendre sa venue.
    – N’aie crainte, Tiercelet, concéda-t-il à mi-voix. Je t’obéirai quoi qu’il puisse m’en coûter.
    Cet aveu l’apaisa. Il ne dit plus un mot.

II
     
     
     
    Haletant et courant, les jambes écorchées aux griffes des roncières, Tristan pleurait de joie et de soulagement. «  Libre ! Libre ! » chuchotait le vent nocturne à ses oreilles. Allons, c’en était fait de l’angoisse et des suffocations pénibles de l’évasion !
    Tout s’était accompli selon les dispositions de Tiercelet. En descellant les moellons des latrines, le malandrin avait dégagé un passage d’un franchissement aisé. Pas un seul gros craquement de bois, côté lit ; aucun éboulement de pierre ou de mortier, côté muraille. La « corde » avait tenu bon ; les sauts s’étaient achevés au mieux. Pour ajouter à leur satisfaction, la nuit, chargée de nuages lourds, engourdis devant la lune, paraissait aussi sombre que le cul d’une vieille marmite.
    Ils avaient couru jusqu’à des buissons drus dont la haie toute proche enfermait un champ où l’on joutait peut-être. Là, par quelques claques joyeuses, ils s’étaient congratulés avant que Tiercelet ne tendît un bras : « Voyez : votre forêt nous attend… Pas besoin de faire valoir le droit d’asile ! » Et d’y courir.
    C’était une cathédrale d’arbres aux piliers colossaux soutenant une voûte aux nervures souvent inapparentes, jusqu’au moment où la lune enfin dégagée, comme neuve, les avait dorées de ses feux.
    –  Messire, un peu de nerf, je vous prie !
    Il fallait avancer en titubant vers le chœur de cette nef immense ; fuir sans se retourner en se disant que Perrette avait dû lâcher ses sicaires et ses chiens, car cette cagne défendait une réputation à laquelle, malgré ce qu’il avait enduré, Tristan se souciait peu de porter menace.
    – Hé, messire, qu’est-ce qu’il vous prend ?
    – Je ris, Tiercelet, en souvenir du copieux repas qu’elle m’a fait porter peu avant notre fuite. Je lui avais dit qu’une grosse mangeaille me donnerait vigueur, ardeur… endurance !… Tu as bien fait de me déconseiller d’y toucher : quelque poison peut-être en rehaussait le goût.
    Le puissant fantôme de Tiercelet sinuait entre les troncs givrés de clartés grisâtres avec une agilité que Tristan lui envia. Gibier de potence, cet homme pouvait, sous l’effet d’une menace, courir et se mucher 30 comme un sanglier dont il semblait détenir la rudesse. De la main, du coude ou de l’épaule, il savait éloigner toute branche ou ramille gênante et prenait le temps de la retenir :
    – Allez, messire !… Je vous fraye le passage.
    Ils ignoraient où ils allaient et ce qu’ils trouveraient au-delà des arbres. De loin en loin, une clarté révélait les contours d’un petit étang ou le sillon d’un ruisseau. Une fois, Tiercelet s’agenouilla, emplit d’eau ses mains réunies en coupe et y enfouit son visage.
    – Je m’endormais, dit-il. Faites-en autant.
    Tristan l’imita, étonné de l’ascendant que ce malandrin ne cessait d’exercer sur lui, et se promettant de revenir aux préséances dès qu’il aurait recouvré son énergie – si par malheur ils devaient demeurer quelques journées ensemble. Il respirait à grands traits l’odeur des feuilles jeunes, juteuses de sève nouvelle, parfois si basses qu’elles touchaient son front ainsi que des doigts humides. La nuit lourde appuyait sur ces ramées printanières comme pour en exprimer les essences simples, revigorantes, à l’inverse de toutes celles dont une dame voluptueuse usait immodérément. Ah ! Comme c’était bon, après le remugle d’une geôle, cette exaltante senteur à laquelle se mêlaient, quand la forêt devenait touffue, celle des herbes mouillées, des buissons

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