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Les amants de Brignais

Les amants de Brignais

Titel: Les amants de Brignais Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Innocent VI avait fait prêcher la Croisade contre elles (1) 82 et nommé capitaine, le cardinal-évêque d’Ostie, Pierre Bertrandi. Il avait déchanté. Rares étaient ceux qui voulaient affronter de tels hommes. Il avait fallu négocier. On racontait que moyennant 14 500 florins d’or, une compagnie s’était engagée à quitter la vallée du Rhône pour aller combattre en Lombardie sous la bannière de Jean Paléologue XVI, margrave de Montferrat, en guerre contre les seigneurs de Milan. Il n’avait recruté que des Anglais (1) 83 . Alors, les autres routiers s’étaient jetés sur les pays de Langue d’Oc. Sitôt de retour d’Angleterre, le roi Jean avait compris la nécessité d’annihiler les méfaits de ces loups errants… Et il était bien placé, lui, Castelreng, pour être au fait des dispositions prises lors des conseils. Le connétable Robert de Fiennes (1) 84 , l’amiral Baudrain de la Heuse et le maréchal Arnoul d’Audrehem étaient partis pour le Midi. Là, ils avaient trouvé le comte Henri de Trastamare entré lui aussi dans ce pays. Et de vive force, malgré la résistance des seigneurs des Pyrénées. C’était une chose avérée que l’Espagnol et ses hommes avaient commis autant de désordres, pillages, viols, que les Compagnies. Cependant, di sait-on, le sens de l’honneur lui était revenu, et il avait servi avantageusement – pour lui – la cause française. Des bandes étaient alors entrées en Aragon. D’autres, sous la pression des armes, étaient remontées vers le Forez, le Lyonnais, l’Auvergne. Tous ces écorcheurs semblaient réunis ce soir. Leurs chefs saluaient Naudon de Bagerant et parfois Tiercelet comme des princes, puis observaient Oriabel. Et l’on eût dit des lions épiant une biche !
    « Il faudrait les exterminer… Audrehem ne saurait en être capable… Il passe pour un serpent. À Arras, qui ne voulait pas payer la gabelle sur le sel, il a fait pendre cent vingt innocents !… Les routiers sont d’une autre espèce ! Tiercelet m’a dit que le gros Arnoul n’avait pas osé entrer à Pont-Saint-Esprit… Le contraire d’un Jean Souvain, le sénéchal de Beaucaire. Il a si bien voulu défendre cette ville qu’il en est mort… Jamais Audrehem n’aurait dû traiter avec les Compagnies… On dit qu’il a quitté la Langue d’Oc en hâte… et qu’à peine arrivé à Paris, il a fait en sorte de ravir son titre à Robert de Fiennes !… Il doit être heureux, désormais (1) 85  ! »
    Il faisait clair : une rutilante clarté due aux torches de tous ces enragés hurlant et gesticulant, alignés en lisière de l’espèce de sentier sur lequel le cheval de Bagerant avançait du pas assuré d’une chèvre.
    – Salut, Naudon !
    – Est-ce une fille du roi que tu nous amènes ?
    –  Parait que l’Isabelle et les gens qui l’entourent ont fait un long détour pour nous éviter !… Dommage ! On aurait privé Visconti de sa beauté (1) 86  !
    – Salut, Naudon !
    – Bienvenue, Naudon !… Rien de mauvais à l’entour ?
    L’on n’entendait que cela et, parfois, le « Place ! Place ! » hurlé par Héliot ou un autre lorsque les rangs des curieux s’incurvaient de part et d’autre comme pour se rejoindre, se confondre et encombrer le passage.
    « Combien sont-ils ? » se demanda Tristan, appuyant sur le mors de son roncin pour lui éviter un trébuchement qui sans doute eût provoqué des rires. « Cinq mille ? Davantage ?… Dix mille au moins ? »
    Sa gorge se serrait, ses yeux s’exorbitaient. Il les voyait bien, ces calamiteux, et Oriabel aussi pour peu qu’elle leur jetât un regard. Il y avait, rassemblés à Brignais, les débris des petits et grands combats opposant depuis plus de vingt ans la France et l’Angleterre, la sentine orgueilleuse et puante des armées triomphantes ou vaincues. En fait, ces pentes caillouteuses n’étaient rien d’autre que d’immenses latrines humaines, et toutes ces faces couenneuses, buissonneuses, engluées aux flammes des flambeaux, des torchères et des candélabres robés dans les saints lieux chrétiens et juifs, exprimaient, en même temps que le plaisir sans doute exagéré de voir réapparaître Bagerant, la fierté de vivre sans règles ni principes, le goût immodéré du meurtre et la concupiscence sauvage. Et tous ces cris d’accueil témoignaient d’un hideux mélange de races :
    –  Good night, Naudon !
    – Bienvenido !
    – Buenos noches,

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