Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Les Amants De Venise

Titel: Les Amants De Venise Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Zévaco
Vom Netzwerk:
s’avança. Et elle-même apparut en pleine lumière.
    Léonore Dandolo était, à cette époque, en plein épanouissement
de sa beauté, si toutefois le mot épanouissement n’éveille pas
l’idée d’un développement trop paisible. Elle était grande, avec
une taille flexible ; son visage, auquel on aurait pu
reprocher sa perfection même, si cette perfection n’eût été comme
adoucie et tempérée par les attitudes de la physionomie, ce visage
eût fait le désespoir des peintres – si Léonore eût jamais consenti
à poser. Mais jamais, même à Titien, elle n’avait accordé cette
faveur. On rapporte même que Titien l’ayant suppliée à genoux, elle
avait répondu que seul son fiancé la posséderait en corps et en
image. Ce qui rendait surtout cette figure admirable, au point
qu’il était impossible de l’oublier quand une fois on l’avait vue,
c’était le regard, mélangé de fermeté, de grâce, de force et de
timidité, regard qui bouleversait, regard qui jadis avait fait dire
à un ambassadeur étranger :
    « J’emporte de Venise trois souvenirs que rien ne pourra
effacer de ma mémoire : l’intérieur de Saint-Marc, le ciel
étoilé des nuits d’ici, et le regard de Léonore Dandolo. »
    De la race dont elle descendait, elle avait gardé la fierté
hautaine, le courage et la noblesse de sentiment qui avaient si
singulièrement faibli chez son père. Il en résultait que son genre
de beauté eût pu paraître un peu grave et sévère si de toutes ses
attitudes, de ses gestes, de sa voix, ne se fût exhalée une grâce
timide, et, eût-on dit, un peu sauvage. Elle avait la démarche
onduleuse, le geste rare et presque hiératique.
    Quant à son cœur, il était tout pitié, tout amour. À Venise, on
l’avait autrefois surnommée la Madone des pauvres.
    Remise de la fièvre qui avait failli l’enlever, Léonore
apparaissait un peu amincie, un peu plus féminisée, plus douce et
plus douloureuse : peut-être un travail d’apaisement
s’était-il fait dans son esprit. Ou du moins peut-être le
pensait-elle, mais il semblait qu’elle eût peur de regarder ce
portrait, peur de réveiller tout ce qui dormait en elle.
    Ce portrait que l’Arétin avait apporté, ce portrait vers lequel
elle s’avançait en tremblant, remettait tout en question dans son
âme. L’oubli qu’elle espérait sans le chercher devenait
impossible.
    … Pourtant, qui eût vu Léonore à ce moment, n’eût pu se
douter des sentiments qui venaient l’assaillir de toutes parts
comme les vagues échevelées par la tempête assaillent quelque roche
solitaire au milieu de l’océan. Elle regardait avidement ce
portrait qui semblait vivre et palpiter sous ses yeux.
    Elle lui parlait doucement, non pas qu’un délire passager se fût
emparé d’elle, mais par ce sentiment si naturel, si vrai, si
humain, qui nous pousse à croire que quelque souffle de l’être aimé
palpite peut-être dans son image.
    Elle disait :
    « Te voilà donc près de moi encore… Roland, ô mon cher
amant, si tu pouvais réellement m’entendre, si tu pouvais écouter
tout ce que mon cœur t’a dit depuis l’affreuse journée de notre
séparation !… Et si je pouvais, moi, pénétrer un instant dans
ton cœur et connaître le jugement que tu as porté sur moi !…
J’ai bien souffert, ô mon Roland… j’ai souffert comme je ne pensais
pas qu’on pût souffrir sans en mourir… Et pourtant, il suffit que
ton image soit devant moi pour que je souhaite de souffrir plus
encore… pour toi… par toi… »
    Elle ne pleurait pas. Elle parlait doucement et lentement.
    Elle s’était assise dans un fauteuil, en face du portrait, et le
coude sur le bras du fauteuil, la tête appuyée à sa main, elle
plongeait son regard dans les yeux qui la regardaient.
    Dandolo rentra.
    Il vit sa fille assise devant le tableau et s’approcha
d’elle.
    « Qui sait, dit-il, si tu n’as pas eu tort, Léonore… à quoi
bon ce portrait ici ?… »
    Elle secoua la tête.
    « Ton intention est donc de le garder ?
    – Oui, mon père… je n’avais rien de lui…
    – Au moins, qu’il soit placé de façon à ne pas être
constamment sous tes yeux…
    – Je désire au contraire l’avoir toujours près de
moi… »
    Dandolo se mit à se promener lentement dans la pièce, la tête
penchée, évitant de regarder le portrait de Candiano et sa fille,
comme si la conjonction de ce portrait et de son enfant eût éveillé
en lui

Weitere Kostenlose Bücher