Les Amazones de la République
lâidée, déplorablement dégradante pour les intéressées, de confier à des femmes â une « brigade volante » â la rubrique politique, sous-entendant que lancer des jolies filles, élevées en batterie, à lâassaut de la République pouvait être dâune redoutable efficacité. « Vous saurez comme personne recueillir leurs confidences », leur disait-on, sans éprouver le besoin dâajouter à cette feuille de route : et sâil le faut, sur lâoreiller ! Pourtant, conceptualisée ou non, lâidée dâenvoyer au front toute une génération de journalistes politiques, fonceuses et sémillantes, nâavait rien de fondamentalement stupide.
Câest ainsi que les journalistes parlementaires, qui constituaient une troupe exclusivement masculine à lâAssemblée, virent débarquer un beau matin un bataillon de jolies filles virevoltantes, avec entre les dents â quâelles avaient belles et longues â une plume plus caressante quâacérée. à lâépoque, Jacques Chaban-Delmas était un jeune Premier ministre charmeur, galant et raffiné. Et ce locataire de lâhôtel de Lassay faisait le baisemain à celles qui franchissaient le seuil de son bureau. Avant de leur lancer, en guise de mot de bienvenue : « Mademoiselle, quel plaisir de vous avoir parmi nous. » Une leçon de maintien, dont DSK revisita à sa manière quelques-uns des codes.
Ãtonnante période de lâhistoire de ce métier où il suffisait, parfois, dâavoir une parcelle de beauté, un brin de plume et une réserve de culot pour quâaussitôt sâaplatisse une classe politique en lévitation. Faut-il préciser que, dans ces années-là , on ne comptait que 5 % de femmes députés dans ce bastion masculin quâétait lâAssemblée nationale : une véritable enclave, où lâapparition dâune escouade de femmes journalistes politiques fit le même effet que le jour où dans les rues de Kaboul lâon vit se lever, comme des persiennes, le voile de quelques burqas, laissant ainsi entrevoir les visages dâanges de jeunes Afghanesâ¦
Sorties des éprouvettes de LâExpress , après avoir été brevetées par leur laborantine en chef, elles sont trois à se lancer ainsi les premières à lâassaut de la citadelle politique : une escadre en jupe et cardigan aux soutes remplies dâun carburant aux effluves chinées chez les meilleurs parfumeurs de Paris. Mais un trio de choc, également. Il y a là Michèle Cotta, Irène Allier et Catherine Nay. La ruche a libéré ses reines et elles butinent, tout ouïe, le compas ouvert et les stylos dressés comme des antennes.
Et tout les intéresse. Il leur suffit de plonger dans leurs poudriers et de saupoudrer leurs interlocuteurs de quelques sourires pour quâils aillent à confesse et rêvent dâadultère. Et les indiscrétions tombent comme à Gravelotte : une hécatombe.
La séduction comme technique dâinvestigation ? « Indiscutablement, les hommes politiques préfèrent parler aux femmes. Et le pouvoir est un aphrodisiaque puissant, continue de penser, un demi-siècle plus tard, Michèle Cotta. Or, si lâhomme politique est promis à une destinée, il parvient sans mal à séduire celles qui se partagent les postes les plus enviés du journalisme. » « Envoyer des filles pas trop bêtes et pas trop laides à la rencontre de ministres ou de députés permettait de raccourcir les distances », confirme Catherine Nay : une beauté longiligne au côté de laquelle ses confrères masculins semblaient un cortège dâescargots patauds. Se souciant de leur existence comme de son premier bâton de rouge à lèvres, cette dernière débarqua un jour à lâAssemblée en minijupe et cuissardes blanches, mettant le feu à la buvette de lâhémicycle ! « Aujourdâhui, je me dis comment ai-je pu ? » confesse celle qui avait alors 22 ans et une silhouette de rêve. Hachant menu dâun regard ou dâun sourire les terreurs du Palais-Bourbon, la « Grande Catherine », ainsi surnommée, fit tomber, une à une, stylo en main, comme des
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