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Les Amazones de la République

Les Amazones de la République

Titel: Les Amazones de la République Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Renaud REVEL
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l’idée, déplorablement dégradante pour les intéressées, de confier à des femmes – une « brigade volante » – la rubrique politique, sous-entendant que lancer des jolies filles, élevées en batterie, à l’assaut de la République pouvait être d’une redoutable efficacité. « Vous saurez comme personne recueillir leurs confidences », leur disait-on, sans éprouver le besoin d’ajouter à cette feuille de route : et s’il le faut, sur l’oreiller ! Pourtant, conceptualisée ou non, l’idée d’envoyer au front toute une génération de journalistes politiques, fonceuses et sémillantes, n’avait rien de fondamentalement stupide.
    C’est ainsi que les journalistes parlementaires, qui constituaient une troupe exclusivement masculine à l’Assemblée, virent débarquer un beau matin un bataillon de jolies filles virevoltantes, avec entre les dents – qu’elles avaient belles et longues – une plume plus caressante qu’acérée. À l’époque, Jacques Chaban-Delmas était un jeune Premier ministre charmeur, galant et raffiné. Et ce locataire de l’hôtel de Lassay faisait le baisemain à celles qui franchissaient le seuil de son bureau. Avant de leur lancer, en guise de mot de bienvenue : « Mademoiselle, quel plaisir de vous avoir parmi nous. » Une leçon de maintien, dont DSK revisita à sa manière quelques-uns des codes.
    Ã‰tonnante période de l’histoire de ce métier où il suffisait, parfois, d’avoir une parcelle de beauté, un brin de plume et une réserve de culot pour qu’aussitôt s’aplatisse une classe politique en lévitation. Faut-il préciser que, dans ces années-là, on ne comptait que 5 % de femmes députés dans ce bastion masculin qu’était l’Assemblée nationale : une véritable enclave, où l’apparition d’une escouade de femmes journalistes politiques fit le même effet que le jour où dans les rues de Kaboul l’on vit se lever, comme des persiennes, le voile de quelques burqas, laissant ainsi entrevoir les visages d’anges de jeunes Afghanes…
    Sorties des éprouvettes de L’Express , après avoir été brevetées par leur laborantine en chef, elles sont trois à se lancer ainsi les premières à l’assaut de la citadelle politique : une escadre en jupe et cardigan aux soutes remplies d’un carburant aux effluves chinées chez les meilleurs parfumeurs de Paris. Mais un trio de choc, également. Il y a là Michèle Cotta, Irène Allier et Catherine Nay. La ruche a libéré ses reines et elles butinent, tout ouïe, le compas ouvert et les stylos dressés comme des antennes.
    Et tout les intéresse. Il leur suffit de plonger dans leurs poudriers et de saupoudrer leurs interlocuteurs de quelques sourires pour qu’ils aillent à confesse et rêvent d’adultère. Et les indiscrétions tombent comme à Gravelotte : une hécatombe.
    La séduction comme technique d’investigation ? « Indiscutablement, les hommes politiques préfèrent parler aux femmes. Et le pouvoir est un aphrodisiaque puissant, continue de penser, un demi-siècle plus tard, Michèle Cotta. Or, si l’homme politique est promis à une destinée, il parvient sans mal à séduire celles qui se partagent les postes les plus enviés du journalisme. » « Envoyer des filles pas trop bêtes et pas trop laides à la rencontre de ministres ou de députés permettait de raccourcir les distances », confirme Catherine Nay : une beauté longiligne au côté de laquelle ses confrères masculins semblaient un cortège d’escargots patauds. Se souciant de leur existence comme de son premier bâton de rouge à lèvres, cette dernière débarqua un jour à l’Assemblée en minijupe et cuissardes blanches, mettant le feu à la buvette de l’hémicycle ! « Aujourd’hui, je me dis comment ai-je pu ? » confesse celle qui avait alors 22 ans et une silhouette de rêve. Hachant menu d’un regard ou d’un sourire les terreurs du Palais-Bourbon, la « Grande Catherine », ainsi surnommée, fit tomber, une à une, stylo en main, comme des

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