Les Amazones de la République
journaliste pour convaincre le directeur dâun quotidien où la gauche était le diable et Mitterrand un Nosferatu criblé dâanathèmes. Non seulement, elle convainquit Max Clos, mais sâoffrit même le luxe de le gifler, après que ce dernier lui eut mis la main aux fesses, alors quâelle lui remettait sa précieuse copie !
Quant au premier secrétaire du parti socialiste, qui sâinclina devant ce double exploit, il affubla Jacqueline Chabridon â alors lâune des toutes premières femmes journalistes à être entrée dans la franc-maçonnerie â dâun surnom qui avait chez lui une signification romantico-politique de poids : « Mon petit Front populaire ! »
Omniprésente à son côté, elle multiplia ainsi durant plusieurs années les initiatives : câest elle qui lui fit notamment rencontrer Jean Ferrat, un artiste que François Mitterrand ne connaissait pas. Avant de lui amener un soir à dîner Dalida, avec laquelle ce dernier nouera, comme on le sait, de profonds liens dâamitié. Convaincue quâil fallait raffiner les regards quâil jetait en vrac sur la société et les mÅurs qui lâentouraient, elle alla même jusquâà lui faire écouter lâun des premiers tubes du chanteur Antoine â « On achète la pilule dans les grands magasins » â, chanson dont Mitterrand raffolaâ¦
Cette proximité avec François Mitterrand fit ainsi dâelle lâun des principaux récipiendaires de ses confidences, parfois les plus intimes. Jacqueline Chabridon, qui avait sa chambre dans les différentes demeures privées de la famille Mitterrand â quâil sâagisse de celle dâHossegor ou de Latche â, fut ainsi la seule journaliste à être au courant de la naissance de Mazarine, dont elle connaissait bien la mère, Anne Pingeot. Dès le milieu des années soixante, et notamment durant la campagne présidentielle de 1965, elle fut chargée dâorganiser, avec Laurence Soudet â lâune des plus proches collaboratrices de François Mitterrand â, ses rencontres les plus secrètes et ses dîners les plus privés.
Dorment ainsi, tapis dans sa mémoire, mille et un souvenirs soigneusement enfouis sous un épais crépi, le tout bien cadenassé : lâautre vie dâun homme dont elle connut, côté cÅur, les solstices et les équinoxes, les boudoirs, comme lâidentité de ses visiteuses : ce Mitterrand méconnu, dont elle conserve, au tréfonds dâelle-même, les feuilles volantes dâun carnet rose imaginaire et épais comme un annuaire.
Adoubée par la mitterrandie, Jacqueline Chabridon fut ainsi du premier voyage de lâhomme en Chine, en février 1981. Accueilli en grande pompe à Pékin, celui qui nâétait alors que le premier secrétaire du PS, mais aux yeux des Chinois â qui semblaient disposer dâindications que même les experts les plus affûtés de nos instituts de sondage ne disposaient pas â, le prochain locataire de lâÃlysée, organisa, à peine arrivé, un déjeuner spécialement en son honneur. Il y avait à table, outre celui qui sâapprêtait à succéder à VGE, Lionel Jospin et Gaston Defferre.
Intriguée par lâinvitation, qui semblait incongrue, alors que lâensemble de lâappareil politique chinois piétinait afin que le protocole fût respecté, il lui fallut attendre la fin du déjeuner pour découvrir, enfin, la vraie raison de cette convocation : François Mitterrand tenait tout simplement à ce quâelle renie, sur-le-champ, Michel Rocard, dont elle sâétait entichée (sur le plan strictement politique) et dont elle avait défendu, au sein du PS, la candidature en vue de la présidentielle. Rocard ! cet homme à lâombre duquel rien ne pousse, sur la tombe duquel il irait pique-niquer et devant lequel sâaplatissait une secte percluse de génuflexions ! Mitterrand vomissait Rocard et la « trahison » de Chabridon le faisait enrager. Durant quarante minutes, la journaliste tenta pourtant dâinfléchir la position dâun François Mitterrand inflexible : « Vous avez tort, président, car Rocard nâest pas, comme vous
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