Les Amazones de la République
des copines, dont la beauté et lâélégance sur mesure nâavaient dâégales que lâambition chevillée au corps et la rage dâaboutir.
De quoi parlaient-elles, ce soir-là  ? Comme toujours, inlassablement, intarissablement, de politique. Et des hommes : des soupirants piqués, enivrés, de politique eux aussi â parce que députés, ministres ou bien plusâ¦Â â, dont elles sâamourachaient parfois et quâelles ensorcelaient et vampaient, souvent. La politique ? Leur ADN : livres, mots, idées, profession de foi, intimité⦠elles sâen nourrissaient du matin jusquâau soir, tricotant les carrières des uns, détricotant celles des autres, en glosant sur leurs vie privée et sex-appeal, comme lâon feuillette les pages dâun magazine people.
La politique, enfin, une véritable addiction, dont elles nâont jamais pu ni voulu se défaire jusquâà aujourdâhui. Et sans doute jusquâau crépuscule de leur carrière. Au point dâentretenir parfois avec celle-ci des liens de consanguinité profonds, à forte teneur dâÅstrogènes. Sans que lâon sache vraiment qui fut le maître ou lâesclave de lâautre.
« Mes chéries, à 22 heures je ne veux plus vous voir », leur avait lancé Michèle Cotta en leur ouvrant la porte. Chacune avait compris que leur illustre consÅur avait un rendez-vous et quâil était donc de bon ton de partir à lâheure fixée. Câest ainsi quâà 22 heures tapantes, chacune prit son manteau et son sac à main, et se dirigea vers la porte dâentrée, pour tomber nez à nez avec un homme qui poirotait depuis plusieurs minutes, assis sur lâune des marches de lâescalier comme sur un prie-Dieu ; elles reconnurent immédiatement lâune des figures montantes du parti socialiste, Pierre Mauroy. Déjà maire de Lille, lâintéressé sâapprêtait à prendre, à lâépoque, le porte-parolat de François Mitterrand, en vue de la campagne présidentielle de 1981, avant dâen devenir le futur Premier ministre, murmurait-on déjà dans les coursives du PS. Donc, un homme clé de la mitterrandie, sur le compte duquel il faisait sans doute bon dâinvestiguer⦠Ce à quoi sâemploya Michèle Cotta, lâintelligence radieuse et conquérante, qui avait, en lâoccurrence, souvent une bonne longueur dâavance sur ses consÅurs.
Quelques mots sur celle qui mériterait un ouvrage à elle seule. Diplômée de lâInstitut dâétudes politiques de Paris, docteur en sciences politiques et élève de René Rémond, Michèle Cotta a débuté sa carrière à Combat , où, pigiste, elle obtiendra la toute première interview-événement de François Mitterrand, au lendemain de la fameuse affaire de lâObservatoire dâoctobre 1959 â un épisode à lâorigine dâune énorme controverse politique, François Mitterrand ayant été suspecté dâavoir lui-même commandité cet attentat dans lâunique but de regagner les faveurs des Français.
Or, Philippe Tesson, qui dirigeait alors ce quotidien, lâavait envoyée non loin de lâabbaye de Royaumont, où François Mitterrand faisait sa rentrée politique. Lâapercevant dans un restaurant, alors quâelle déjeunait en compagnie de quelques-uns de ses confrères, le patron du PS sâinvita à la table et sâinstalla à côté dâelle, avant de sâépancher, comme un prévenu qui ne résiste pas à lâinterrogatoire et qui passe à table, sur une affaire qui secouait alors la République ! Tesson en fut bluffé et Françoise Giroud, qui décela sous les boucles brunes de cette toute jeune et ravissante journaliste une graine de championne, lâintégra immédiatement dans son écurie, à LâExpress .
Ce journal, Michèle Cotta dut y creuser son sillon et y faire ses preuves. Car câest lâépoque, en effet, où gisaient dans les placards dâun métier aux mÅurs machistes légion de jeunes journalistes cantonnées aux tâches subalternes. Quand le patron dâEurope 1 lâaccueillit, en 1970, au sein de sa rédaction, il eut cette
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