Les Amazones de la République
capituler sans grande résistance face aux assauts de journalistes revenues à lâétat femelle. « Toutes des grues ! », sifflait-elle quand lui revenaient aux oreilles potins infâmes et rumeurs dâalcôve : ce gouffre de débauche â des « catins ! », fulminait-elle â avait fini par lâentamer.
Il faut lâavoir entendu pester, lâÅil noir et le verbe rêche, contre cette profession, pour se convaincre de la relation quâentretint toute une génération de femmes journalistes avec les différents locataires de lâÃlysée, dont son « Jacques », au premier chef. Celle qui assista, des années durant, impuissante à ses cavalcades ne pipa mot en public, ne sâépanchant jamais sur ce qui la ravaudait. Jusquâau jour où, accompagnant, un matin de 1995, lâensemble de la famille Chirac à lâinauguration de la bibliothèque Philippe-Habert â du nom dâun intellectuel, ancien directeur des études politiques du Figaro et époux de Claude Chirac, suicidé â, Luce Perrot la vit sâépancher, la mine défaite.
Invitée à la table des Chirac, lors du dîner qui suivit la cérémonie, cette journaliste de TF1, proche du couple, entendit ainsi Bernadette Chirac se livrer à une charge en règle contre la profession. Se tournant vers sa voisine, elle lui dit dans un sourire : « Je suis heureuse de voir, Luce, que vous nâêtes pas une dragueuse, vous au moins ! â Mais pourquoi me dites-vous cela ?, répliqua lâintéressée. â Parce que toutes les journalistes sont des dragueuses, des voleuses de mari ! â Encore faut-il que les maris leur fassent la cour, tenta de nuancer Luce Perrot, qui sentait Bernadette Chirac intérieurement dévastée. â Non ! Elles sont prêtes à tout. Et jâen ai souffert. Oui, je peux vous le dire, cruellement souffertâ¦Â » Tel un avocat, qui ne sait plus que faire pour défendre lâhonneur perdu de sa cliente, la journaliste chercha ses mots. à elle seule, Luce Perrot jouait le rôle dâun immense public, que Bernadette Chirac voulait prendre à témoin. Soudainement recluse, elle nâen dit pas plus. Mais sa voisine avait compris : câétait lâépoque, en effet, où le Tout-Paris prêtait à Jacques Chirac une liaison abrasive avec une journaliste de lâAFP, dont il était tombé, disait-on, follement amoureux. Et Luce Perrot prit soudainement conscience à cet instant que cette « love affair », dont la chiraquie se rengorgeait, était tout simplement en train de plonger dans la tourmente le couple Chirac.
Pour être tout à fait précis, ce ne fut pas la toute première fois où lâon vit Bernadette Chirac sâépancher. De manière bien plus publique cette fois, elle fit, au milieu des années soixante-dix, des confidences à Christine Clerc, restées dans les mémoires. « Pour la première fois, je la voyais de près, sans projecteurs officiels, ou plutôt, sans lâombre portée de son époux. Et soudain, cette femme effacée dont les gros plans télévisés ne mâavaient révélé quâune silhouette frêle, de grands yeux où la détermination ressemblait à de lâangoisse, et un front dégagé comme offert aux blessures, mâapparaissait tout autre : forte, décidée, mais aussi épanouie » : publiées dans les colonnes du magazine Elle , le 11 avril 1976, ces quelques lignes introduisaient un portrait-entretien qui fit à lâépoque grand bruit. « Que voulez-vous, âluiâ nâest pas souvent disponibleâ¦, confiait déjà celle qui brisait lâarmure face à cette autre journaliste. Il y a beaucoup de choses dont jâai souffert, murmurait-elle. Pas la peine de sây arrêter. » Ãteints les solstices, disparus les équinoxes dâune jeunesse lointaine. Durant ce long échange, Bernadette Chirac raconta les difficultés rencontrées lorsque Jacques Chirac décida dâentrer en politique : « Je me rendais compte quâil entrait dans un engrenage et quâil allait être bouffé. Mais je nâavais pas le choix : il fallait que je prenne le
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