Les Amazones de la République
les regards dâune légion de parlementaires à la grâce de mastodontes, en cavale au premier jupon venu.
Bien mieux quâune confrérie, ce petit cercle de consÅurs formait un club, une tribu. Une secte soumise aux rythmes, saillies, foucades et ruades dâune classe politique, que le conflit Giscard-Chirac déchirait alors et chauffait à blanc. Ayant grandi et barboté, ensemble, dans les mêmes marigots, elles entretenaient avec cette sphère des liens et réflexes â impensables de nos jours â, qui allaient bien au-delà de la consanguinité ou dâune connivence complice. Ãtaient-elles de gauche ou de droite ? Peu importe. Cosmopolites et prêtes à tous les adultères, sur le plan politique, elles naviguaient dâun bord à lâautre de lâéchiquier, sâamourachant de lâune et de lâautre, selon les périodes et les figures qui les incarnaient.
La politique ? une addiction. Les politiques ? une meute complice. Le journalisme en bandoulière, lâÃlysée pour pied-à -terre et Matignon pour pis-aller, cette génération partageait avec lâarmée des ténors de la giscardie, de la chiraquie ou de la mitterrandie les mêmes langages, les mêmes codes et parfois les mêmes rêves.
Or Jacques Chirac, à cette époque, de réputation, de fougue et de jeunesse, leur plaisait. Il y avait en lui, chef de meute dans la force de son âge, du taureau haletant. Il ne marchait pas, il fonçait : carré, large dâépaules, le corps jeté en avant, telle une boule dans un jeu de quilles. Un nez de tamanoir, aussi, signalant quâil avait de gros appétits. Et aux pieds, souvent, une paire de mocassins. Ce qui lui permettait de ne pas perdre son temps à lacer et délacer des souliers, dont il se déchaussait dâune pichenette, quand venait lâheure â chez ce boulimique compulsif â du repos du guerrier. Cet homme aux mÅurs de soudard, qui buvait, rigolait et ripaillait, avait également des faiblesses touchantes. Si bien quâà travers lui se retrouvait une France terrienne, romantique et paillarde.
Peuplé dâun bataillon de secrétaires et dâassistantes parlementaires, lâhémicycle, comme lâhôtel Matignon, sâapparentait à un self-service, dont Jacques Chirac aurait été le taulier. Quand il lui prenait une montée dâadrénaline, lâhomme sâen allait soulager sa libido, picorant dans les rayons. Quant aux journalistes, elles constituaient, le cas échéant, un agréable contingent de supplétifs, dans lequel il allait aussi allègrement piocher. Si lâintéressé dut se livrer plus tard, comme nous le verrons, à de nombreux subterfuges, parfois drolatiques, afin dâéchapper à la vigilance de Bernadette, son épouse, cette période de sa vie politique fut, sur le plan de son épanouissement sexuel, disons-le, dâune insouciance légèreâ¦
Chaque déplacement en province de Jacques Chirac se faisait ainsi en groupe : par commodité, la petite dizaine de journalistes qui lâaccompagnait logeait le plus souvent dans le même hôtel. Et, le soir venu, tout le monde se retrouvait autour dâun verre, au bar, jusque tard dans la nuit. « Je peux venir en griller une dans ta chambre ? » : à combien de portes est ainsi allé gratter lâancien chef de lâÃtat, quand celui-ci, alors Premier ministre de VGE, sâapprêtait à partir, remonté à bloc, à la conquête de la mairie de Paris ? Am stram gram⦠Chirac sillonnait les étages, jusquâà ce que lâune de ces journalistes lui entrebâille sa porte⦠Une fois dans la place, il devenait difficilement délogeable. Cette habitude était tellement installée chez ce dernier que la jeune garde qui lâentourait à lâépoque â dâAlain Juppé (qui épousera dâailleurs plus tard une journaliste du Matin de Paris ), à Jacques Toubon â, se mit à lâimiter. Comme sâil sâagissait dâun rituel initiatique, dâune épreuve à laquelle tout mâle chiraquien digne de ce nom devait se mesurer. Chirac ouvrait la voie et la troupe épousait les pratiques du guide, participant au festin.
Ãa ne décroche jamais,
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