Les Amazones de la République
yeux pour dire, des mains pour voire. Romantique et soudard, prodigue et désinvolte, malotru et adorant, Chirac était tout cela à la fois. Et il dévora la vie. Dès lors, comment ne pas comprendre que de jolies amazones sâappliquèrent à le séduire ?
Jacques Chirac souleva donc Jacqueline Chabridon comme un haltère de plume. Ce qui ne fut pas sans conséquence sur le déroulement de la carrière de celle-ci. Sa proximité avec François Mitterrand, puis cette liaison avec Jacques Chirac furent une source de blocages et de vexations dans les différentes rédactions quâelle fréquenta, du Figaro à Radio Monte Carlo, où elle fit, pour finir, un brillant parcours.
Combien de fois sâest-elle vu infliger, à RMC, lorsquâon la convoquait pour on ne sait quelle besogne journalistique, des numéros où se mêlaient sous-entendus et réflexes de suspicions ? Ãlevés dans la soumission à la majorité en place, Olivier Mazerolle et Jean-Pierre Defrain, les responsables de la rédaction de la station, que présidait alors Denis Baudouin (un giscardien de vieille race, boursouflé de componction), lui demandaient, tantôt de faire passer des messages aux princes qui nous gouvernaient, tantôt de rapporter des scoops glanés dans les coulisses de la politique. « Le tout dans un climat de défiance palpable », confia à lâauteur lâintéressée, un jour dâoctobre 2012. Regardée comme une hérétique, accablée dâanathèmes et convaincue dâun double parjure â une mitterrandienne de religion et, circonstance aggravante, une chiraquienne de cÅur, qui sâen serait allée se perdre sur les trottoirs de la droite â, on lui recalait tous ses papiers.
Et elle en pleurait. Patrick Poivre dâArvor, qui débutait également, lui proposa à quelques reprises de lui rédiger certains de ses articles. « Alors ? », lui demandait-il, quand elle revenait du bureau de la direction : « Poubelle ! », se lamentait-elle. Des « machos », des « fachos », « des jean-foutre », « desâ¦Â ». Tout un dictionnaire dâargot ne suffirait pas à satisfaire sa colère. Combien parmi ses confrères ou consÅurs auraient pris le maquis â à savoir, trouver asile dans quelque feuille de chou, en attendant des jours meilleurs. Mais pas elle, qui tint bon et sâenracina. Elle finit par faire tomber la tête du chef du service politique de la station, quand Jacques Chirac, agacé du traitement quâon infligeait à sa protégée, sonna la fin de lâhallali. Et mit la direction de RMC au pas.
Avant de poursuivre, arrêtons-nous un instant sur cette anecdote qui demeure, à bien des égards, surprenante. Une semaine avant sa mort, Danielle Mitterrand revit Jacqueline Chabridon. Bien que les deux femmes aient partagé nombre de souvenirs au cours des quatre dernières décennies, elles ne sâétaient croisées quâà une seule reprise, depuis 1981. La gauche ? Une religion, un cÅur, une communion, pour ces deux paroissiennes percluses de génuflexions. Quant à François Mitterrand, elles lui avaient connu, lâune et lâautre, différentes facettes. Si bien que, rassemblées une à une, les pièces de leur puzzle personnel finissaient par composer un portrait de lâhomme, tout en contrastes et mystères. Poker faceâ¦
Rendez-vous fut pris et la journaliste alla prendre le thé au domicile de la veuve Mitterrand. Deux jeunes hommes à la silhouette de pâtres grecs lâaccueillirent sur le palier : alors que la Grèce vacillait dans la crise, ces deux membres dâun parti de gauche dâAthènes, plutôt bien faits de leur personne, étaient venus prendre conseil auprès de celle qui soliloquait sur les grandes questions agitant la planète. Rayonnante de certitude et de bonheur. Vision plus quâinsolite, ébouriffante, même : assis à ses pieds et à même la moquette, nos deux éphèbes semblaient en adoration, tels deux gigolos entourant un astre alangui.
« Tu ne changes décidément pas, toujours grande séductrice ! », sâesclaffa Jacqueline Chabridon, qui put lire comme une pointe dâespièglerie
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