Les Amazones de la République
nâen aurait pas été plus chagriné que cela : hilare, Chirac sâempara du sac en papier de son conseiller, dont il extirpa la précieuse pharmacopée, quâil détailla : un calice.
« Ne bouge pas, je lâappelle. » Lâancien président de la République était ainsi fait : il pouvait passer du vouvoiement ou tutoiement, selon les circonstances et les gens qui lui faisaient face. Or ce garçon, qui venait de lui rendre un service inestimable, à ses yeux, valait bien cette familiarité : signe chez lui que ce jeune poulain méritant avait désormais sa place parmi ses affidés.
Jacques Chirac décrocha son téléphone, composa le numéro du bureau de la jeune femme et lui lança dâune voix enjouée : « Ah, Jacqueline, jâai devant moi un garçon RE-MAR-QUA-BLE. Sans lui, je ne sais pas comment nous aurions fait. Tu es vaccinée contre la fièvre jaune ! Tu peux attraper toutes les maladies de la Terre, y compris avec moi. Mais en ce qui concerne notre voyage en Inde, te voilà en règle ! » Jamais Jean-François Probst ne vit homme plus heureux. Mais jamais conseiller ne fut ce jour-là plus malheureux et déconfit : avoir tant espéré de la politique et se retrouver garçon dâétage dâun Premier ministre adolescentâ¦
Chapitre 23
On a oublié Bernie !
Pour ceux qui lâont vécu au plus près, ce voyage en Inde serait à verser dans une annexe dâannales de la V e  République revisitées par Feydeau. Accompagné dâune délégation imposante, dont un contingent de journalistes, Jacques Chirac profita de cette première visite officielle à lâétranger pour faire une halte au Taj Mahal.
Or il y avait à ses côtés, ce jour-là , non seulement la mère de ses enfants, Bernadette, mais également â et dûment vaccinée â Jacqueline Chabridon. Si bien que lâon assista à cette scène, inédite, dâun Premier ministre marchant loin devant son épouse, mais à quelques pas de celle dont il était alors éperdument amoureux.
Si, plus de trente années plus tard, lâintéressée tait pudiquement cet épisode â comme lâensemble de son idylle avec Jacques Chirac, dont elle a entreposé des pans entiers sous une épaisse dalle de silence â, la scène est restée en revanche gravée dans le disque dur de toute une génération de journalistes politiques.
Car le couple vécut cette passion réciproque sans sâen cacher, ou si peu. Et cela même si Jacqueline Chabridon ne lâévoqua jamais en public. Et que très rarement, également, auprès de ses amies les plus proches, qui guettèrent chez elle une confidence ou un potin. Diadème posé sur la tête dâune reine sans royaume, cette liaison, connue de tous à lâépoque, alimenta une chronique non écrite. Comme ces palimpsestes des temps anciens, auxquels on nâose toucher, ou, encore, ces vins vieillis en fût de chêne, quâon laisse en cuve par peur dâen éventer le nectar, Jacqueline Chabridon garda encapuchonnée au tréfonds dâelle-même cette grande et belle histoire.
La suite de ce périple indien nâen fut que plus déconcertante : au moment de quitter le site, alors que journalistes, ministres et conseillers de Jacques Chirac, une imposante délégation, regagnaient les bus mis à leur disposition, lâon assista à cette scène digne dâun sketch : Jacques Chirac sâengouffrant dans sa voiture et oubliant Bernadette sur le bord du trottoir ! Lâhomme, qui avait sans doute lâesprit bien ailleurs, fit stopper le cortège quelques centaines de mètres plus loin, afin que son épouse puisse rejoindre sa voiture. Les rares témoins de ce sketch assurent que lâon frisa ce jour-là lâesclandre.
Le clou de cet épisode fut une photo de lâAFP. Dépêché sur place, un reporter de lâAgence France Presse immortalisera ce voyage en réalisant quelques clichés aussitôt envoyés à Paris. Or lâun dâeux suscita quelques émois, à Paris. Jusquâau plus haut sommet de lâÃtat, où on tomba à la renverse : il montrait Jacques Chirac conduisant la délégation
Weitere Kostenlose Bücher