Les Amazones de la République
naïf avec ces journalistes. Vous allez voir : il y a des méthodes bien plus efficacesâ¦Â », trancha-t-elle pour finir, assurée de sa puissance comme de ses méthodes. Dâune pâleur diaphane, Marie-France Garaud congédia le conseiller et fit supprimer de son agenda tous ses rendez-vous en vue de lâexécution quâelle sâétait programmée.
La séquence qui va suivre, et qui ne peut sâinventer, Jean-François Probst ne lâa pas oubliée : « Une scène que je nâaurai jamais pu imaginer », nous confia lâintéressé, qui sâen souvient très précisément, à plus de trente années de distanceâ¦
Convoqué à lâhôtel Matignon, André Passeron fut invité à prendre place dans un fauteuil qui faisait face au bureau de Marie-France Garaud. Transformé en candélabre, le jeune conseiller sâengloutit, quant à lui, dans un fauteuil à lâécart, le regard en débine : momifié.
Quant à lâéminente signature du Monde , il comprit, à son séismographe intime, quâun ouragan allait balayer cette pièce. La conseillère ne lâaimait pas â un « jean-foutre », lisait-il dans un regard qui sâaffaissait dans le mépris. Imperturbable, Passeron le lui rendait au centuple, avec ostentation. Mais si rien ne semblait intimider ce journaliste, rien nâeffrayait, non plus, Marie-France Garaud : une lame dont les épigrammes, les formules et les coups de sang sifflaient comme autant de traits dâarbalète. Seule certitude : lâun des deux protagonistes sortirait de ce bureau en charpie.
Un sac Chanel posé sur une chaise, une simple lampe pour tout décorum. Et pas un dossier, pas un papier, pas une épingle, sur un bureau désert : la gardienne du Temple aimait lâordre ciré et sans macule. La conversation démarra sur une musique de chambre : dâun ton très urbain, Marie-France Garaud évoqua le climat politique et les quelques dossiers du moment. Rien ne transparaissait sur le visage de celle qui était décidée à muscler sa partition, le moment venu. Et à briser dâun coup de talon lâhomme qui lui faisait face.
Câest ainsi quâau fil des minutes, le ton monta, piano , puis allegro ⦠André Passeron expliqua dâabord quâil nâavait pas pour habitude de donner ses sources quant aux informations quâil publiait dans les colonnes de son journal. Soit, concéda-t-elle. Et quâensuite, la ligne politique du Monde était lâaffaire des journalistes de ce quotidien. Et non des entourages du Premier ministre. à bon entendeurâ¦
De marbre, Marie-France Garaud, dont la température intérieure était à point, ouvrit alors lâun des tiroirs de son bureau et en tira une enveloppe kraft. Puis, dâune griffe manucurée, la décacheta, laissant entrevoir une liasse matelassée de billets de banque, tenue par un trombone ! « Et ça, est-ce que vous comprenez ce que câest, monsieur Passeron ? Regardez bien et entendez-moi : il faut que tout cela cesse ! », acheva-t-elle, en faisant glisser lâenveloppe vers le journaliste, dâune main rappelant le râteau dâun croupier poussant les jetons sur le tapis dâune table de black-jack. Sâil se montre docile, elle lui jetterait même une plaque, en guise de pourboire, fut à deux doigts dâajouter celle dont on ne sut jamais si ce geste relevait, ou non, du simulacre. à quoi jouait-elle ? Où était le piège sâil y en avait un ? Bref, à quoi rimait ce cinéma !
Jean-François Probst, en tout cas, nâen crut pas ses yeux. Il régnait dans la pièce un silence pesant que Marie-France Garaud rompit, en lâchant dans un murmure quelques mots inaudibles : un canevas dâallusions poisseuses à propos dâune affaire non moins nauséeuse, dont le journaliste du Monde et elle seule avaient, semble-t-il, connaissance⦠Nous nâétions plus à Paris, sous les lambris dâun palais de la République, mais dans lâarrière-salle dâun bouge napolitain, où deux caïds sâentre-tuaient à fleurets non mouchetés. Effaré par le spectacle qui sâoffrait à lui, Probst disparu, définitivement
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