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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jeanne Bourin
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composait le cadre de ma vie au temps de ses heures les plus fastes…
    Je dois aussi à Courtiras un autre bien précieux : l’amitié la plus solide qu’il m’ait jamais été donné de rencontrer.
    En parlant ainsi, je n’oublie pas Catherine, mais elle était restée fille, refusant tous les partis qui s’étaient présentés. Cette différence d’état nous séparait tout autant et même peut-être davantage que les nombreux séjours qu’elle fit alors en Italie. Partie pour Rome chez une parente afin de fuir l’autorité brouillonne de Gabrielle devenue seule maîtresse chez elle depuis la paralysie qui avait frappé le pauvre Gaspard, Catherine ne semblait pas avoir trouvé dans ce dépaysement l’apaisement souhaité. Je la voyais beaucoup moins. En réalité, notre ancienne complicité n’avait pas résisté à mon mariage.
    Ce fut Marguerite, la seconde sœur de Jean, demeurant souvent avec nous parce qu’elle n’était pas, elle non plus, en puissance d’époux à cause d’une bosse assez prononcée, qui me fit connaître celle qui allait devenir ma plus sûre amie.
    Peu de temps après notre arrivée à Courtiras, elle me conduisit chez de bons voisins, les Musset, dont elle prisait fort les mérites et qu’elle souhaitait me faire rencontrer.
    Claude de Musset, seigneur de la Rousselière, était conseiller du Roi. Il avait succédé à son père dans la charge de lieutenant général du baillage de Blois. Habile, fin, discret, cet homme au long nez d’épicurien cachait sous un sourire moqueur une connaissance sans faille de l’humaine nature. Une douzaine d’années auparavant, il avait épousé Marie Girard de Salmet, fille de Nicolas Girard de Salmet, vicomte de Valognes, seigneur de la Bonaventure, qui avait eu l’honneur d’être barbier-chirurgien et valet de chambre ordinaire du Roi. On racontait dans le pays que ce Nicolas de Salmet aimait à réunir en son manoir de la Bonaventure de joyeux compagnons afin d’y déguster en truculente compagnie les bons crus de ses vignes. Avant son mariage, le prince Antoine de Bourbon, notre duc, assistait volontiers à ces agapes.
    Située près du village du Gué-du-Loir, cette terre se trouvait à proximité des nôtres. C’était là que résidait provisoirement, avec ses six enfants, chez le père et la mère de Marie, le couple prôné par ma belle-sœur. D’ordinaire, les Musset habitaient à Blois. D’importants travaux de transformation étant effectués chez eux, ils avaient accepté l’hospitalité de Nicolas Girard de Salmet et de sa femme dont le fils aîné, Jean, célibataire impénitent, était le seul de leurs descendants à vivre encore avec eux. Leur dernière fille, mariée, les voyait peu. Aussi les Salmet avaient-ils été ravis de l’arrivée de Marie et des siens sous leur toit.
    Bâti au milieu des prés, au bord d’un bief du Boulon, petit affluent du Loir, la Bonaventure est une simple et charmante demeure composée d’un vaste logis du siècle dernier à haut pignon que précède une cour. Un mur à arcade la sépare de la ferme et de son verger.
    La première vision de Marie que j’eus dans cette maison reste à jamais gravée dans mon souvenir.
    Marguerite et moi venions de pénétrer dans la salle du rez-de-chaussée où ses parents nous avaient fort courtoisement reçues, quand elle entra. Sur un bras, elle portait un poupon dans ses langes. Cramponné à ses jupes, un autre petit à la démarche encore incertaine la suivait.
    Cette mère était l’image même de la maternité épanouie.
    Grande, opulente, point très belle, avec un visage un peu lourd aux traits charnus éclairés par deux yeux marron largement fendus, bombés et veloutés comme ceux des chevreuils, Marie provoqua chez moi une sorte de coup de foudre de l’amitié. Il n’y a pas qu’en amour qu’on peut éprouver pour une autre personne un attrait aussi puissant que spontané. Dès le premier abord, je sus que Marie compterait dans ma vie.
    Il se dégageait de cette femme plus âgée que moi d’une quinzaine d’années, une telle impression de santé, d’équilibre, de vitalité et de bonne humeur, que je me dis sur-le-champ : « Voici la mère que j’aurais aimé avoir ! »
    Une telle remarque, que je me reprochai aussitôt, s’imposa pourtant à moi d’un coup, avec une évidence absolue.
    — Bienvenue à notre nouvelle voisine ! dit la jeune femme de sa voix calme et claire. Nous sommes heureux de vous

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