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Les Amours qui ont fait la France

Les Amours qui ont fait la France

Titel: Les Amours qui ont fait la France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Guy Breton
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le voir, lui parla doucement, accepta de s’étendre avec lui sur un lit malgré la saleté repoussante des draps, et lui suggéra, entre deux étreintes, d’augmenter l’apanage du duc de Touraine, en détachant le duché d’Orléans du domaine royal.
    Le roi accepta, et son frère devint duc d’Orléans, titre sous lequel je le désignerai désormais.
    Cette petite victoire, on s’en doute, ne suffisait pas à Isabeau. Elle voulait que son amant montât purement et simplement sur le trône, à la place de Charles VI, sachant bien que le jeune homme, qui lui était tout dévoué, la laisserait régner à sa guise.
    Longtemps, elle chercha un moyen de se débarrasser de son mari. L’assassinat lui étant interdit, à cause de la surveillance étroite dont elle était l’objet de la part des oncles régents, elle finit par avoir une idée démoniaque : faire mourir de luxure le pauvre Charles VI.
    Elle choisit la fille d’un marchand de chevaux, une adolescente jeune et belle, appelée Odette de Champdivert, et l’amena à l’hôtel Saint-Pol en lui donnant pour mission d’épuiser le roi.
    À cet effet, elle lui avait enseigné, nous dit-on, « toutes manières de besogner, pour qu’il y prît un tel gaudissement qu’il s’en saoulât et vînt plus vite à fin ».
    Le roi fut naturellement ravi d’avoir cette charmante et experte jeune fille dans son lit. Il s’attacha à elle et l’aima bientôt d’un amour exclusif, extravagant et jaloux.
    De son côté, Odette de Champdivert, que le peuple devait surnommer la petite reine , se prit bien vite d’une tendre pitié pour le malheureux souverain. Après l’avoir rendu propre, elle chercha à le distraire de ses idées fixes.
    Depuis quelque temps, un jeu bizarre avait été introduit en France. Il venait, disait-on, de l’Orient, et les Sarrasins l’appelaient naïb. Il s’agissait de morceaux de carton sur lesquels étaient dessinés des figures et des signes. Odette apprit les règles de ce jeu et les enseigna à Charles VI. Enthousiasmé, le roi demanda aussitôt à un artiste dont il appréciait le talent, Jacquemin Gringonneur, de redessiner les cartons (ou cartes) afin que les figures en fussent plus jolies.
    Ce travail lui fut livré quelques semaines plus tard pour la somme de cinquante-six sols parisis, ainsi qu’en fait foi cette note sur le livre de comptes de Poupart, argentier du roi : « Donné à Jacquemin Gringonneur, pour trois jeux de cartes à or et à diverses figures, de plusieurs devises, pour porter devers le dict seigneur roy pour son esbatement, cinquante-six sols parisis. »
    Ce sont les personnages de ces cartes richement enluminées qui donnèrent naissance aux rois, reines et valets que nous connaissons.
    Charles VI et Odette passèrent, dès lors, des journées entières à jouer aux cartes.
    — Si je gagne, disait le roi avant chaque partie, nous irons nous aimer…
    Et Odette perdait – à la fois par amour et pour obéir aux ordres de la reine Isabeau…
    Mais Charles VI, malgré ces excès amoureux, ne manifestait aucune fatigue particulière, et Bois-Bourdon finit par s’en inquiéter, trouvant que les choses n’allaient pas assez vite.
    Isabeau calma l’impatience de son favori.
    — Il y aurait, je le sais, dit-elle, des moyens plus prompts, mais, outre les conséquences que nous avons reconnues, j’ai pensé qu’il valait mieux que cet homme vécût encore quelque temps. Le duc d’Orléans et moi avons besoin de ce fantôme. Laissons faire celle qui me représente !
    Après quoi, le duc d’Orléans étant en voyage, elle entraîna félinement Bois-Bourdon dans ses appartements…
     
    La folie de Charles VI était coupée de courtes périodes de lucidité pendant lesquelles le souverain reprenait une activité presque normale. Mais, au bout de quelques jours, au milieu d’un conseil ou d’une réception d’ambassadeurs, on le voyait soudain frémir comme s’il eût été « piqué de mille pointes de fer » et détaler dans les couloirs en « hurlant tel un damné ».
    Ces rechutes, incompréhensibles à une époque où l’on ignorait tout des maladies mentales, étonnaient beaucoup les familiers de l’hôtel Saint-Pol.
    Un soir, à la fin d’une de ses périodes de rémission, le pauvre souverain, sentant que la folie le regagnait, éclata en sanglots et dit aux princes qui l’entouraient :
    — Au nom de Jésus, s’il en est parmi vous qui soient complices du mal

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