Les années folles
est tombé sur
le bonhomme et sur son plus jeune.
Malgré
le froid rendu plus vif par le vent qui venait de se lever, il se mit à raconter
au voisin le drame dans lequel tous les trois venaient de jouer un rôle. Soudain,
Antonius sembla se rendre compte que les trois hommes, debout sur le bord de la
route, avaient froid, il se pencha vers le banc arrière de son berlot et en souleva
le siège. Il tira de l’endroit une bouteille de caribou blottie dans une
épaisse couverture de fourrure.
– Tenez !
Buvez un coup ! Ça va vous réchauffer un peu, dit-il en tendant la
bouteille à demi pleine à Eugène.
Ce
dernier déboucha la bouteille et en avala une large rasade avant de la tendre à
Bruno Pierri. Gérald refusa l’offre, ce qui permit à son père de se régaler d’une
autre bonne gorgée d’alcool.
– Ça fait du
bien par où ça passe ! dit-il à Antonius Tougas, en lui donnant sa bouteille.
– Voulez-vous
que je vous ramène ch ez vous ?
offrit Tougas.
– Pour nous, c’est
pas la peine. On est presque rendus, refusa le cultivateur.
Bruno
Pierri s’empressa d’accepter l’offre. Pour leur part, Eugène et son fils Gérald
rentrèrent à la maison quelques minutes plus tard, laissant Bruno Pierri poursuivre
sa route jusqu’à chez lui. Après avoir raconté l’accident à Thérèse et à Claire,
ils passèrent à table et dînèrent.
– On va
laisser faire pour le bûchage cet après-midi, déclara Eugène à son fils. Clément
est pas encore revenu et on a dîné tard.
– J’ai bien
hâte de savoir ce que le docteur va dire pour le petit, soupira Thérèse en
finissant de laver la vaisselle et…
Son
mari, une main crispée sur le ventre, ne l’écoutait plus. Il venait de se lever
et de se précipiter vers la porte de communication de la cuisine d’été. Le visage
tordu en une grimace, il traversa la grande pièce et se dirigea tant bien que
mal vers les toilettes sèches situées à l’extrémité de la remise.
– Mon Dieu !
s’exclama Thérèse, c’était pressant en pas pour rire.
Quelques
minutes plus tard, Eugène, le visage pâle, revint dans la cuisine d’hiver.
– Veux-tu
bien me dire ce que t’as ? lui demanda sa femme.
– Je le sais
pas. On dirait que j’ai mangé quelque chose qui me fait pas, avoua-t-il.
– C’est drôle,
ça, p’ pa, fit remarquer Claire, on a tous mangé
la même chose à midi et nous autres, on a pas ce problème-là.
À
peine la jeune femme venait-elle de finir de parler, que son père se relevait
pour retourner avec précipitation aux toilettes. Lorsqu’il en revint, Thérèse, un
peu inquiète, ne put s’empêcher de lui dire :
– Sais-tu que
t’aurais pris une purgation que ce serait pas pire.
Immédiatement,
la lumière se fit dans l’esprit du cultivateur.
– Ah ben, maudit
Hérode ! jura-t-il.
– Qu’est-ce
qui se passe ? lui demanda sa femme, surprise par son éclat.
– Laisse
faire, répondit-il sèchement. Je me comprends.
De fait, il venait subitement de comprendre ce qui lui arrivait. La
bouteille de caribou dans laquelle il avait versé une large portion d’huile de
ricin quelques semaines auparavant avait fini sa carrière dans le berlot du
père des deux petits voleurs. Il en avait bu sans le vouloir. Son cœur se
souleva un peu lorsqu’il se rappela le goût plutôt spécial du liquide ingurgité.
– Les deux
petits calvaires ! jura-t-il les dents serrées en retournant une troisième
fois aux toilettes en ce début d’après-midi.
Clément
Tremblay revint de Pierreville plus d’une heure après son départ. Il était
suivi par le vieux médecin Albéric Courchesne, qu’il avait trouvé chez lui au
moment même où le praticien allait quitter son cabinet pour visiter deux de ses
patients à Saint-Gérard.
Pendant ce temps, Yvette
était parvenue à faire avaler à son mari une quantité d’alcool propre à
neutraliser partiellement sa douleur.
– Et Adrien ?
avait demandé Ernest à plusieurs reprises, la voix un peu pâteuse.
– Il a pas
ouvert les yeux, mais ça va bien, p’ pa, inquiétez-vous
pas, avait répondu Anne à chaque occasion.
Pendant
que l’adolescente et Jérôme restaient à son chevet, Yvette et Céline étaient
dans le salon. La mère de famille avait déposé une serviette humide sur le
front du petit blessé et elle lui tenait la main pour le rassurer.
– C’est pas
normal que ton frère bouge pas, dit-elle,
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