Les années folles
avez de l’école demain
matin, leur ordonna leur mère. Il est assez tard.
– Mais m’man,
voulut plaider Léo.
– J’ai dit :
« Allez-vous coucher ! » répéta leur mère sur un ton qui n’admettait
aucune réplique.
En
rechignant, les deux adolescents quittèrent la balançoire et rentrèrent dans la
maison.
– Réveillez
pas Jérôme, dit leur père en constatant qu’ils faisaient passablement de bruit.
J’ai hâte que l’école finisse. Il y a de l’ouvrage en masse pour eux autres, ajouta-t-il
après que les deux jeunes furent entrés dans la maison.
– Il reste
juste trois ou quatre jours.
– Léo m’a dit
qu’il aimerait ça, pas retourner à l’école l’année prochaine, reprit Ernest en
soufflant un nuage de fumée.
– Qu’est-ce
que t’en penses ? demanda Yvette. Il me semble qu’il va être bien plus
dans tes jambes qu’autre chose l’hiver prochain. Tu trouves pas qu’il serait
mieux de faire sa septième année comme les autres ?
– On verra ça
l’automne prochain, répondit Ernest sans se compromettre. J’ai vu Clément
Tremblay parler à Anne après le souper. Est-ce qu’il avait des nouvelles de
Céline ?
– Non. Il est
venu en chercher. Je trouve que notre fille est pas bien fine avec son cavalier.
Il me semble qu’elle pourrait lui écrire plus souvent. C’est pas normal qu’il
soit obligé de venir courir des nouvelles ici pour savoir comment elle va.
– Ça fait
longtemps qu’elle lui a pas écrit ?
– Deux
semaines.
– Qu’est-ce
qu’Anne lui a raconté ?
– Elle a bien
été obligée de lui dire qu’on avait reçu une lettre de Céline avant-hier et que
sa cousine lui avait demandé de rester au moins jusqu’à la fin du mois.
– Puis ?
– Il avait le
taquet bas quand il est retourné chez eux.
– C’est vrai
qu’elle était supposée partir pour trois ou quatre semaines, et ça va faire
deux mois qu’elle est en ville. Je trouve que la Rachel exagère, déclara Ernest
en secouant sa pipe contre le garde-fou du balcon. Ça va faire. Tu lui écriras
demain que je veux qu’elle soit revenue en fin de semaine. Nous autres aussi, on
a besoin d’elle. Il y a de l’ouvrage à faire ici aussi.
Yvette
ne contesta pas la décision de son mari. Elle s’ennuyait de sa fille et son
aide lui manquait. Anne avait beau faire son possible, il y avait encore trop
de travail. La saison des fraises était arrivée et on n’aurait pas trop de bras
pour la cueillette.
Ce soir-là, chez
les voisins, Clément Tremblay était allé s’asseoir seul derrière la remise, repoussant
son jeune frère Lionel qui avait voulu le suivre. Le jeune homme était
malheureux. Il s’ennuyait de sa Céline beaucoup plus qu’il n’aurait voulu l’admettre.
Au début de son absence, il s’était consolé en allant traîner au village le
samedi et le dimanche soir. Mais discuter durant des heures avec des
connaissances, assis sur le balcon d’Hélèna, lui avait paru rapidement ennuyeux
et il avait fini par y renoncer. Depuis, il ne vivait plus que pour la lettre
hebdomadaire envoyée par la jeune fille.
Ne pas avoir de
ses nouvelles depuis deux semaines l’inquiétait. Il avait l’impression qu’elle
ne voulait plus revenir vivre à Saint-Jacques-de-la-Rive. Même si elle ne le
disait pas ouvertement dans ses lettres, il devinait qu’elle était épatée par
tout ce que Montréal avait à offrir. Elle était allée voir des films à deux
reprises au Monument national et se vantait de s’être baladée plus d’une fois
en tramway à travers la ville. Elle lui avait décrit les vitrines des grands magasins
de la rue Sainte-Catherine et tous les avantages propres à faciliter la vie
quotidienne qu’elle avait trouvés dans la maison de sa cousine. La radio, l’électricité
et l’eau courante paraissaient l’avoir conquise. Dans ces conditions, comment
une jeune fille de vingt ans pouvait-elle bien avoir envie de revenir vivre à
la campagne ? Pourquoi se priverait-elle de tout ce luxe ? L’aimait-elle
assez pour renoncer à tout ça ?
Clément sentait qu’il
était incapable de lutter contre la ville. Il n’avait rien à lui offrir en
échange. C’était d’ailleurs probablement pour cette raison qu’elle avait renoncé
à lui écrire. Il était de plus en plus persuadé qu’elle avait commencé à l’oublier
et cela le rendait malheureux comme les pierres.
Contrairement aux
prévisions d’Ernest Veilleux, il
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