Les années folles
Puis, sans un mot, sans
une caresse, sans la moindre préparation, il en fit sa femme. Ce corps lourd
sur elle, cette brutalité incontrôlée, cette haleine chaude sur son visage dégoûtèrent
la jeune femme au point qu’elle crut qu’elle allait être malade. La sensation
de brûlure fut si intense qu’elle le repoussa sans ménagement en poussant un
cri au moment même où Germain, le souffle court, roulait sur le dos , enfin satisfait.
Débarrassée du
poids de son mari, Gabrielle s’empressa de se lever et elle quitta la chambre
dans le noir pour aller faire un brin de toilette. Durant un long moment, elle
pleura dans la cuisine en se frottant énergiquement avec une serviette mouillée,
comme pour faire disparaître toute trace de ce qui venait de se passer. Plantée
devant la fenêtre, elle ne se décidait pas à retourner dans la chambre
surchauffée. C’était donc ça, l’amour ! Elle aurait crié si elle en avait
été capable. Allait-elle pouvoir endurer ça toute sa vie ?
– Viens-tu te
coucher ? l’appela Germain demeuré étendu dans le lit.
– Oui. J’arrive.
Un
peu craintive, elle rentra dans la chambre et reprit sa place dans le lit. Elle
sentit le contact de la peau nue de son mari sur son bras et elle s’en écarta
vivement.
– T’as pas l’intention
de coucher tout nu, j’espère ? lui demanda-t-elle à mi-voix.
– Pourquoi
pas ? On est mariés, non ?
– Germain
Fournier, on est pas des animaux, lui reprocha Gabrielle en élevant la voix.
– Correct,
concéda Germain, peu désireux de la contrarier alors qu’il n’avait pas l’intention
d’en rester là pour sa nuit de noces.
Il
sortit du lit et il remit son sous-vêtement. Quand il reprit place près de Gabrielle,
il s’aperçut qu’elle lui tournait le dos . Il
posa une main hésitante sur sa hanche, main qu’elle repoussa.
– Je suis
fatiguée, dit-elle sèchement. Je pense que ça va faire pour à soir. Bonne nuit.
Déçu
et frustré, Germain n’insista pourtant pas. Il se tourna du côté opposé et, quelques
instants plus tard, se mit à ronfler. Pour sa part, Gabrielle, les yeux grands
ouverts, ne parvenait pas à trouver le repos, essayant d’imaginer le genre de
vie qui l’attendait aux côtés de Germain Fournier. La nuit était passablement
avancée quand la fatigue eut raison d’elle et la fit sombrer dans un sommeil
sans rêve.
Le chant du coq la
réveilla en sursaut et, pendant un court moment, elle se demanda où elle se trouvait. À la vue de l’oreiller à côté du sien, les
souvenirs de la nuit passée lui revinrent en mémoire et les traits de son
visage se durcirent. Elle se leva immédiatement et se rendit dans la cuisine. Germain
avait allumé le poêle avant d’aller à l’étable. Comme on était dimanche et qu’elle
ne pouvait déjeuner si elle désirait communier, elle s’empressa de retourner
dans la chambre pour changer le drap et remettre de l’ordre dans la pièce. Ensuite,
elle commença la préparation du dîner avant d’aller faire sa toilette et s’habiller
pour la messe.
À l’extérieur, le soleil brillait à nouveau,
mais l’air était beaucoup plus sec que lors des derniers jours. Les rayons
miroitaient sur les larges flaques d’eau laissées par les pluies abondantes des
dernières heures.
Germain rentra
dans la maison après avoir trait les vaches et changé de pantalon dans la
remise, comme Gabrielle le lui avait demandé la veille. De fort bonne humeur, il
s’était convaincu que sa femme avait autant apprécié que lui l’expérience de la
nuit précédente et que seule sa timidité l’avait empêchée de la répéter avant
de s’endormir. À son entrée, cette dernière était occupée à brosser ses cheveux
devant le miroir suspendu au-dessus du lavabo, dans la cuisine. Il s’approcha d’elle
et il l’embrassa dans le cou. Gabrielle sursauta à ce contact. Elle lui fit face
et le repoussa sans ménagement.
– Écoute, Germain,
lui dit-elle sur un ton tranchant. On est pas des enfants. On est pas pour
passer notre temps à se minoucher.
– Ben. On est
mariés, plaida son mari, dérouté par sa réaction.
– C’est en
plein ça. Du monde marié pense pas juste à ça. Il y a des affaires bien plus
importantes à faire.
Cette
dernière remarque de sa jeune femme laissa Germain sans voix.
– Là, si tu
continues à perdre du temps, on va finir par arriver en retard à la grand-messe
et toute la paroisse va jaser sur
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