Les années folles

avant que
vous alli ez
vous reposer.
    – Qu’est-ce
qu’il y a ? lui demanda son père.
    – C’est au
sujet du couvent, p’ pa. J’aimerais tellement y aller, fit
Aline, les larmes aux yeux.
    – On en a
déjà parlé et je t’ai dit non, il me semble, dit Eugène, en durcissant le ton.
    – Je
suis bonne à l’école. J’aime ça étudier, p’ pa et…
    – C’est pas
une raison, la coupa son père.
    – Si
c’est juste pour l’argent, comme chez les Veilleux, que vous voulez pas, je
pourrais toujours vous rembourser quand je ferai l’école.
    – Qu’est-ce
que les Veilleux viennent faire là-dedans ? demanda Eugène, tout de même
un peu intrigué.
    – Anne m’a
dit qu’il y a deux ans, son père a pas voulu l’envoyer au couvent parce que ça
coûtait trop cher et qu’il avait pas les moyens.
    – Parce qu’elle
voulait faire l’école, elle aussi ?
    – C’ est ce qu’elle m’a dit.
    Eugène Tremblay demeura planté debout, imposant, devant sa fille. Aline
le sentait ébranlé, prêt à changer d’idée, ne serait-ce que pour prouver au
voisin détesté que lui, il avait les reins assez solides pour envoyer une de
ses filles étudier au couvent. Il n’avait pas de religieux ou de religieuses
parmi ses enfants, mais il pourrait se vanter d’avoir une maîtresse d’école.
    –  Et ta mère
dans tout ça ? demanda-t-il finalement à sa fille d’une voix adoucie. As-tu
pensé qu’en allant au couvent, tu pourras pas l’aider ?
    – Je peux
faire ma part le soir et la fin de semaine, p’ pa.
Je suis sûre que je vous ferais pas honte au couvent. Je pourrais même aider
Jeannine et Lionel à faire leurs devoirs chaque soir.
    – Ouais.
    – Vous êtes
sûr que vous voulez pas que j’y aille ? supplia-t-elle, les yeux pleins d’eau.
    Eugène Tremblay
regarda sa fille s’essuyer les yeux et il rendit les armes.
    – Bon. Ça va.
Si ta mère est d’accord, on va s’arranger. Mais t’es mieux de pas perdre ton
temps chez les sœurs parce que ton cours va s’arrêter vite.
    L’adolescente
sauta au cou de son père pour l’embrasser puis rentra en coup de vent dans la
maison, transportée de joie.
    – Seigneur !
s’exclama sa mère. Veux-tu bien dire ce que t’as à t’exciter comme ça ? T’as
failli arracher la porte-moustiquaire, espèce d’énervée.
    –  P’ pa veut que j’aille au couvent ! s’écria
la jeune fille.
    – Bon. Voilà
autre chose, fit Thérèse en adressant un clin d’œil à sa grande fille Claire. Non
seulement tu pourras pas nous aider, mais il va falloir en plus te faire une
robe.
    – Je vais
vous aider, m’man, promit Aline.
    – Commence
donc tout de suite en prenant ça, fit Claire en lui tendant un linge à
vaisselle.
    Thérèse s’approcha
de la porte-moustiquaire pour s’assurer que son mari était bien étendu à l’extrémité
du balcon et que les garçons s’étaient éloignés de la cuisine avant de revenir
près du comptoir où sa fille déposait la vaisselle qu’elle venait d’essuyer.
    – Je t’ai
entendue parler à ton père. Qu’est-ce que c’est que cette histoire d’Anne
Veilleux qui voulait aller au couvent ? demanda-t-elle à mi-voix à l’adolescente.
    – C’est pas
une histoire, m’man, c’est…
    – Aie, Aline
Tremblay ! Prends-moi pas pour une valise ! fit sa mère, sévère. Anne
Veilleux a toujours été une queue de classe et, si je me fie à ce que me
racontait sa mère, elle haïssait l’école à s’en confesser.
    – Je le sais,
m’man, protesta Aline.
    – Pourquoi t’as
raconté le contraire à ton père ?
    – Pour le
décider à me laisser aller au couvent.
    – Comment ça ?
    – En lui
disant que le père Veilleux avait pas voulu parce que ça coûtait trop cher, j’ai
pensé que p’ pa voudrait prouver que lui, il avait les
moyens de m’envoyer.
    – T’as
un front de « beu », ma fille, de conter des menteries en pleine face
à ton père pour obtenir ce que tu veux s’insurgea Thérèse. Tu mériterais que j’aille
lui dire tout de suite la vérité. Je te garantis qu’il te ferait passer le goût
d’être aussi effrontée avec sa ceinture.
    – Faites pas
ça, m’man, l’implora la jeune fille.
    – T’oublieras
pas de t’accuser de cette menterie-là dans ta prochaine
confession.
    – Non, m’man.
    – Disparais
de ma vue et va me chercher tous les pots vides qu i traînent
dans la réserve.
    – Soulagée
de constater