Les années folles
les
rouleaux le soir pour se faire des boudins, ajouta Anne en admiration devant la
photo.
– Ça
fait une drôle de tête, fit remarquer leur mère, pas du tout convaincue de la
beauté de cette nouvelle coupe de cheveux.
– Bien non, m’man,
s’entêta Anne. C’est bien plus beau que mes cheveux qui me descendent jusqu’au
milieu du dos ou ceux de Céline qui lui vont jusqu’aux
reins.
– Vous avez
toutes les deux des beaux cheveux qui frisent.
– Qu’on passe
notre temps à laver, à friser et à brosser, poursuivit Céline, conquise, comme
sa sœur, par la nouvelle mode.
– Avec des
cheveux courts comme ça, une femme a l’air d’une vraie Jézabel, déclara leur
mère sur un ton définitif.
– Voyons, m’man !
protesta Céline.
Il
y eut un long silence entre les trois femmes, silence que le père brisa en se
levant de sa chaise berçante tout en bâillant bruyamment.
– Bon. Arrêtez
vos maudites niaiseries avec votre mode. Vos cheveux sont corrects comme ils
sont là. C’est l’heure de dire la prière et d’aller se coucher. Anne, appelle
tes frères pour qu’ils viennent faire leur prière avec nous autres.
Ce
soir-là, les deux sœurs, qui partageaient la même chambre à coucher à l’étage, discutèrent
longuement de la nouvelle mode après s’être mises au lit. Pour une fois, elles
étaient d’accord : elles avaient le malheur de vivre avec des parents
rétrogrades qui refusaient systématiquement tout ce qui était à la mode.
Le lendemain matin,
Yvette Veilleux déclara aux siens, à l’heure du déjeuner, qu’on avait fini de
geler pour rien dans la cuisine d’été et qu’elle avait décidé que la famille em ménager ait dans la cuisine d’hiver le jour même.
Son mari finit de manger ses œufs en trempant son pain dans le jaune d’œuf
avant de parler.
– Comme
toutes les maudites années, tu trouves le moyen de décider ça au moment où on a
le plus d’ouvrage dehors, dit-il à sa femme. Torrieu ! C’est aujourd’hui
qu’on commence à labourer. J’attendrai pas que la pluie se mette à tomber.
– On n’est
tout de même pas pour s’enfermer dans le haut côté quand il fait encore chaud, rétorqua
Yvette. C’est pas de ma faute s’il commence à faire frais au moment où tu veux
labourer. De toute façon, j’ai juste besoin de Jérôme une heure pour nettoyer
les tuyaux du poêle. Après, il pourra aller te rejoindre quand tu le voudras.
– OK, fit le
cultivateur en se levant de table. Jérôme, tu vas aller réparer les deux tôles
sur la couverture de la porcherie quand t’auras nettoyé les tuyaux du poêle. Moi,
je vais commencer à labourer le morceau proche du bois.
Ernest
Veilleux prit sa veste de laine rouge et noir accrochée derrière la porte et
sortit sur le balcon pour chausser ses bottes avant de se diriger vers l’écurie.
– S’il
y a une job que j’haïs, c’est ben de nettoyer ces maudits tuyaux-là, déclara l’adolescent
de quinze ans. J’en arrache chaque fois quand vient le temps de les réinstaller.
Il y en a trop.
– Je vais te
donner un coup de main, proposa Léo, avec une bonne volonté suspecte.
– Toi, tu
touches à rien. Tu t’en vas à l’école tout de suite avec tes frères, lui ordonna
sa mère. On est assez pour aider ton frère si c’est nécessaire.
L’adolescent
de treize ans houspilla Jean-Paul qui traînait encore à table.
– Envoye,
le gros ! Essaye pas de vider toute la pinte de mélasse avant de partir. On
va être en retard et on va encore se faire engueuler par la maîtresse. Regarde
Adrien, lui, il est déjà prêt.
Aussitôt
après le départ des trois plus jeunes de la famille, la nourriture fut rangée
dans le garde-manger et la vaisselle fut lavée. Avant de mettre de l’eau à bouillir
sur le poêle, Yvette Veilleux entra dans la cuisine d’hiver.
– Mets de la
gazette partout avant de commencer à défaire les tuyaux, ordonna-t-elle à
Jérôme.
– Pourquoi ?
– Parce que
je veux pas avoir de la suie partout. Si t’en échappes, je t’avertis, Jérôme
Veilleux, tu vas laver toute la cuisine.
Le
jeune homme ne se fit pas répéter l’injonction. Il disparut rapidement dans la
remise, construite dans le prolongement de la cuisine d’été, et il en revint
avec plusieurs journaux qu’il étendit soigneusement sur le parquet. Pendant ce
temps, sa mère et ses deux sœurs entreprirent de nettoyer la pièce où la
famille allait vivre
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